Wednesday, November 28, 2012

Lu : Le samouraï virtuel, de Neal Stephenson

Lu : Le samouraï virtuel, de Neal Stephenson. Titre original : Snow Crash.
photo de la couverture
Un livre qui m'a beaucoup plu et je ne suis pas sûr de savoir expliquer pourquoi. En fait, c'est un mix de plusieurs choses :
  • L'environnement cyberpunk ou, certains diront, post-cyberpunk. Pour écrire une histoire dans un monde cyberpunk, on est obligé d'inventer ce monde, car il n'est pas donné au lecteur. Donc, invention, description, bonnes idées. Et, comme dans tout roman de SF qui se respecte, la cohérence des idées est primordiale.
  • On trouve donc dans ce roman plein de bonnes idées, des concepts intéressants. Prenons-en quelques-uns :
    • Le ratcho est un chien de garde cyborg. Un vrai chien de garde, qui aime bien son maîmaître et son nonos, avec des parties robotisées.
    • Le dentata est une arme de self-defence anti-violeurs. Dans le vagin de la victime est insérée une seringue qui assomme chimiquement le violeur.
    • Le Radeau est un immense ensemble de radeaux, de vieux bateaux, organisés autour d'un ancien porte-avion américain abandonné. Y vivent des exclus de la société. Une vraie favela flottante.
    • Les banlises, ou banlieues-franchises, sont des banlieues mises en place par une grande société et où ladite grande société a un monopole généralisé.
  • Les deux héros sont sympathiques. Un métis afro-asiatique paumé dans la vie, adepte des sabres japonais et hackeur émérite, et une jeune courrière américaine adepte de la planche.
  • L'exploration d'un thème qui m'est cher, la commensurabilité du langage humain et du langage informatique. Tout au long du roman sont développées des histoires de programmes informatiques s'adressant directement à l'esprit humain, sans passer par une traduction dans les langues courantes. La glossolalie y est interprétée comme une pratique visant à court-circuiter la raison.
  • L'exploration générale de l'histoire, de la mythologie et de la linguistique par le héros, qui cherche à comprendre comment des virus peuvent s'adresser à l'esprit humain. Là-aussi, rien que pour la culture, je plussoie.
  • Le style indirect libre utilisé par l'auteur affiche — éhontément — l'avantage de pouvoir mêler l'omniscience du narrateur et la subjectivité du personnage. C'est une facilité mais cela permet d'abréger un livre très dense qui, autrement, serait beaucoup plus long et fastidieux à lire. De plus, cela engendre une certaine complicité entre le lecteur et le narrateur, soulignée par quelques traits d'humour dans la narration. Encore une fois, c'est bon marché, mais ce n'est pas du Ronsard que l'on recherche dans ce livre ;-)
  • J'ajoute que l'auteur a cru bon de nous épargner deux catastrophes des temps modernes (qui ruinent le cinéma américain, entre autres) :
    • Les scènes d'action à rallonge.
    • Les jugements moraux ou les clichés chrétiens insérés en catimini.
Alors voilà, c'est un des meilleurs bouquins que j'ai lus ces dernières années et je le recommande à tous ceux qui s'intéressent un minimum au cyberpunk ou qui cherchent simplement de la nouveauté.

Tuesday, November 20, 2012

Lu : L'art de la guerre, Sun Tzu

Je viens de finir ma première lecture intégrale de l'Art de la guerre, de Sun Tzu.

Que dire de cette édition ?
  • D'abord, que le traducteur de cette édition s'est donné beaucoup de mal pour comparer les sources, les traductions, les commentaires de toutes les époques et informer le lecteur des libertés qu'il a prises par rapport au texte. Merci et beau travail.
  • Ensuite, que le texte est abordable pour un néophyte. Pas besoin de connaissances de la stratégie militaire pour aborder le sujet et, avec une bonne édition telle que celle-ci, pas besoin de connaissances de la Chine ancienne pour remettre dans le contexte.
  • Enfin, que de nombreuses annexes abordent les interprétations et les ouvrages postérieurs largement inspirés. Là encore merci. Je plussoie, comme on dit.
Que dire sur la tactique militaire ? (par opposition à la stratégie militaire)
Mon avis est que la tactique a très largement évolué par rapport à l'époque de Sun Tzu et qu'une partie de l'ouvrage est caduque, à cause des technologies et des législations plus récentes.
  • L'artillerie et l'aviation ne permettent plus de se représenter une bataille comme un simple affrontement de deux masses de soldats : la puissance de feu vient aussi du ciel, surgit de nulle part.
  • Les conventions diplomatiques, les lois internationales de la guerre et les tribunaux internationaux rendent aussi certaines pratiques de l'époque de Sun Tzu très improbables aujourd'hui.
  • La guérilla n'est pas abordée. Sun Tzu se place généralement dans une vision où il faut prendre les villes et les territoires ennemis pour les exploiter, lieux, terres, richesses et main d'œuvre (pas un simple pillage ou une simple destruction, contrairement à certaines guerres de l'antiquité méditerranéenne). Il imagine donc rattacher toutes les villes prises au royaume de son souverain mais n'aborde pas la question des révoltes ou des guérillas, un enjeu majeur du XXIème siècle. Dans une certaine mesure, l'affrontement de deux armées régulières décrit par Sun Tzu n'est plus la préoccupation majeure des armées contemporaines.
Toutefois, si l'on prend du recul par rapport aux données explicites des conseils Sun Tzu pour se pencher sur les concepts (de simple bon sens) qui les sous-tendent, certains aspects managériaux, tactiques et stratégiques sont tout à fait actuels.
  • Sur le choix du général, selon son tempérament, et ses relations avec les officiers (quiconque a géré un service informatique vous dira l'importance de la question) : délégation, mise au courant ou secret, durée du secret, bi-directionnalité des flux d'information...
  • Sur la motivation des hommes, en fonction des conditions extérieures et notamment de la proximité géographique et temporelle de leur foyer.
  • Sur la liberté du général de ne pas appliquer les ordres du souverain s'il juge plus opportun de faire autrement.
  • Sur le choix du terrain, des positions avantageuses, sur le harcèlement de déconcentration de l'ennemi. Quiconque a rencontré des commerciaux de grande distribution (vendeurs ou acheteurs, les acheteurs sont les pires) connaît ces questions.
  • Sur la prise en compte des conditions de sortie de l'ennemi. Comme dans un jeu de go, l'objectif n'est pas d'annihiler l'ennemi mais d'avoir le dessus en lui permettant de se retirer avantageusement.
  • Sur l'information, dont Sun Tzu assène déjà qu'elle est l'un des facteurs les plus déterminants des batailles, sur l'espionnage, sur l'intox.
  • Sur les alliances stratégiques, où l'on voit clairement que Sun Tzu visualisait la Chine des Printemps et des Automnes comme un gigantesque plateau de jeu de go.

En conclusion, ce qui m'a le plus frappé est le simple bon sens poussé à l'analyse méthodique du travail d'un général de son époque. L'armée a des constituants (soldats, officiers, liaisons, camps...), qu'il analyse pour en trouver les forces et les faiblesses, et qu'il transforme en opportunités et en menaces. Ah! Matrice SWOT quand tu nous tiens... L'armée a des conditions extérieures (terrains, distances, approvisionnement...) qu'il analyse et transforme. L'armée a des produits d'entrée (informations, armes, approvisionnement, argent...) et des produits de sortie (victoires, défaites, conquêtes...) qu'il analyse et transforme, etc.
La pensée de Sun Tzu est moins linéaire que la pensée occidentale. Je pense par exemple que Sun Tzu n'aurait pas pu se représenter une matrice SWOT de lui-même ni en tirer grand bénéfice (alors qu'elle serait théoriquement un outil puissant dans ce travail d'analyse militaire). Il y a là — je m'avance — une différence majeure Occident/Chine entre les façons de penser ou, tout du moins, entre les façons d'exprimer une pensée. L'Occidental va chercher à mettre en valeur la structuration logique du cheminement intellectuel pour arriver au résultat et à frapper son lecteur par la simplification quasi-graphique du cheminement (lignes parallèles ou perpendiculaires, formes simples, flèches), tandis que le Chinois met en valeur les résultats et frappe son lecteur par l'illustration mnémotechnique du résultat : "Les cinq piliers sont..." ou "dans telle situation, l'armée est comparable à..." et utilise des éléments concrets du quotidien pour marquer les esprits (eau, vent, feu, récipient, roue, animal...)