Friday, April 26, 2013

Défense des langues régionales, oui mais pour quelle ambition ?

En contrepoint à l'article de l'Express "Onze idées reçues sur les langues régionales".



Sortons de l'illusion de sauvegarde du patrimoine, née de la fascination technique ! (dans le cas qui nous occupe, technique linguistique)

"Le basque est l'une des langues les plus anciennes d'Europe." Certes. Les sacrifices d'esclaves sont l'une des plus anciennes traditions d'Europe.

"Le breton est une langue celtique." Wow ! Le français est une langue romane, issue du latin.

"Le francique lorrain [...] l'idiome le plus proche de la langue que parlait Clovis." Chouette !!! Est-ce à dire qu'en travaillant bien notre francique à l'école, nous aussi nous pourrons devenir chefs de guerre ? Piller des églises puis se convertir au christianisme en grande pompe ? Faire l'histoire en traitant la tête d'un soldat de la même façon qu'un vase ?


Une langue n'est pas une richesse ! Je le répète car c'est un point crucial de ce que je vais dire ici : UNE LANGUE N'EST PAS UNE RICHESSE. C'est la *pratique* d'une langue qui est une richesse. Comme disait Claude Hagège, une langue morte est une langue que personne n'utilise pour dire "passe moi le sel". Une langue est avant tout un outil, au service de personnes qui, elles, créent de la richesse humaine et culturelle. Une langue sans locuteur est une langue morte, dont la seule valeur est le corpus de textes qu'elle laisse, qui seront traduits selon leur intérêt, car on manque plus de lecteurs que de traducteurs de langues mortes.




Alors, VRAI, le français est supérieur aux langues régionales.
Oh, je ne parle pas de qualités intrinsèques ! Déjà, je ne voudrais pas céder à la facilité de comparer le corpus d'une langue avec le corpus d'une autre. Pour mesurer les qualités intrinsèques, il faut mesurer les capacités d'apprentissage, la diversité de structures... qu'un homme peut utiliser ! C'est assez facile de regrouper le béarnais, le gallo et le limousin en un seul ensemble et de dire : regardez ce magnifique corpus !

La vérité est plus prosaïque : les locuteurs du français s'ouvrent sur le monde francophone, 300 millions de personnes. Des foyers culturels divers. Des cadres légaux moins restrictifs que ceux de la France, par leur plus grande diversité. L'avenir du français est assuré, celui de la France ne l'est pas...
Je ne parle pas de qualités intrinsèques d'une langue, je parle de potentiel de création de richesses, culturelles et humaines. En ces domaines, le français est supérieur aux langues régionales.



"Les langues régionales peuvent aussi présenter un intérêt économique." Alors là, stop ! Dire que l'alsacien permet de communiquer avec un allemand, c'est faux. Si on entre sur le terrain économique, les gens sont pressés. À défaut de leur langue, ils ne parleront pas une langue voisine, ils parleront anglais. Et que dire des nombreux étrangers arrivant à Barcelone, ville qu'on leur conseille de toute part, pour s'entendre refuser de parler en castillan, la langue que l'on apprend partout dans le monde ?



"Le breton nous rattache à notre passé gaulois."
  1. 3 des 4 dialectes bretons ne sont pas issus du gaulois mais de langues de l'archipel britannique.
  2. L'héritage gaulois est largement surestimé, suite à surenchère républicaine.
  3. Il y a certes une vision du monde dans une langue mais le breton de 2013 parlé en Bretagne française n'exprime, à mon avis, rien de la vision du monde de nos ancêtre gaulois... si tant est que cela soit souhaitable.


"Enseigner une langue régionale à l'école n'est pas un problème." Alors là, je dis attention ! Les linguistes disent certes que posséder une deuxième langue permet d'en apprendre d'autres mais ils disent aussi que la plupart des gens n'arrivent pas à dépasser trois langues. Quant aux passerelles entre des langues proches, elles représentent certes une aide pour la grammaire mais elles aussi sont aussi souvent sources de confusion pour le vocabulaire. Ainsi, les mots proches de langues faciles à aborder comme l'italien ou le roumain ne s'inscrivent pas forcément bien dans la mémoire. Par exemple, l'immersion totale à l'étranger fonctionne souvent mieux dans une langue entièrement différente.



Note concernant la politique linguistique de la Suisse : malgré le statut officiel du romanche, il est vraisemblable que celui-ci disparaisse en l'espace de quelques générations.



Concernant l'indépendantisme : Si les langues sont un attribut essentiel de l'identité, eh bien laissons-les s'exprimer ! inutile de les pousser ni des les réprimer. C'est la voie démocratique. Pourquoi vouloir les nourrir ? Je m'en voudrais de toucher à l'identité de quelqu'un, fût-ce pour lui suggérer de la renforcer.


En conclusion, je dirais que les langues régionales ne sont qu'un choix culturel parmi des dizaines d'autres possibles. L'histoire est ce qu'elle est, nous ne sommes pas en 1800 mais en 2013. Relancer aujourd'hui les langues régionales, ce n'est pas simplement valoriser un héritage culturel à coups de millions d'euros, c'est engager la culture des individus pour des générations. Pourquoi travailler à raviver le passé plutôt que de se tourner vers l'avenir ?
Si la langue régionale était parlée par des centaines de milliers de personnes en attente de reconnaissance, je dirais oui. Or, à l'exception du breton et du basque transfrontalier, elle n'est le plus souvent parlée que par quelques milliers de personnes âgées. La langue régionale de Marseille, c'est l'arabe, bien plus que le provençal. Pourquoi ne l'enseignerait-on pas dans les écoles de la République ?

Wednesday, April 24, 2013

Lu : La libido primitive, de Valy Christine Océany

Lu ce livre d'une auteure que je découvre et vers laquelle je reviendrai, Valy-Christine Océany : La libido primitive.

Une roumaine qui est installée en France depuis longtemps revient en Roumanie. Elle y redécouvre son histoire, comprend ce qu'elle ne comprenait pas dans sa jeunesse : ses relations avec son père, sa naïveté enfantine, la naissance de sa libido. À travers lettres, dialogues et souvenirs, elle revit son enfance.

Excellent bouquin, dans lequel j'ai beaucoup apprécié la mise en abîme de l'écriture du texte, la fraîcheur du style (mêlant styles direct, indirect et indirect libre dans des proportions très fluides et naturelles) et la vraisemblance des émotions. Je le recommande.

Comme à l'accoutumée, voilà quelques citations :

« Les grands, quand ils ne savaient pas quoi faire de leurs enfants, ils leur faisaient l’éducation. »

« Mes pensées ont l’allure d’une langue de bois, ces expressions toutes faites avec lesquelles on exprime tous la même chose, ou plutôt on n’exprime rien. [...] L’expression « langue de bois » est en elle-même langue de bois. »

« Alors, pour alimenter la curiosité de sa belle mère, elle glissait de temps en temps des papiers sans importance entre les feuilles de ses livres et ses cahiers, juste pour le plaisir de les voir disparaître. »

« Comment retrouver ce sentiment de bonheur ? Peut-être qu’elle n’avait pas le droit d’être heureuse. Puisqu’hier, elle l’avait été et, aujourd’hui, elle était punie de l’avoir été. »

Friday, April 5, 2013

Quelques notions sur la Roumanie [2/3] : Les minorités de Roumanie

Quelques notions sur la Roumanie, à l'attention des amis qui m'accompagnent dans mon prochain voyage (et de tout autre intéressé à lire cette page). Voir l'article 1 : Les Roumains.

Wikipédia possède un bon petit article sur le sujet et notamment une belle carte que je reprends ici (cliquez dessus pour l'agrandir).

Mais bon, c'est un peu court, et je préfère ma façon d'aborder les choses.

Les Rroms
Une première minorité, en Roumanie, ce sont les Rroms, qu'on appelle là-bas Tziganes. Ils peuvent être nomades ou installés en petits villages. Plus rarement, l'époque communiste leur a donné des quartiers entiers dans des grandes villes, qui ressemblent maintenant à des favelas intra-muros ou à des vieux quartiers en ruines. Généralement, les polices municipales ne sont pas tendres avec eux et ils ne fréquentent guère les centres-villes modernes.

Les Sicules
Les Sicules sont un peuple magyarophone (qui parle hongrois) mais ne se considère pas hongrois. Il y a plusieurs hypothèses vivement débattues sur leur arrivée dans la région, certaines aussi folkloriques que leur descendance directe des Huns d'Attila. On admet généralement qu'il s'agit de Hongrois qui auraient été déportés du Xème au XIIème siècle au creux des Carpates pour repousser d'éventuels envahisseurs.
Une bonne partie du folklore de la Transylvanie est lié aux Sicules. Ils ont eu un grand impact sur la culture locale : architecture, toponymie, nourriture, langue, traditions... Aujourd'hui encore, plusieurs villes portent des noms qui leur font directement référence : Târgu Secuiesc (le marché des Sicules), Odorheiu Secuiesc (la cour des Sicules), etc.

Les Hongrois
Il y a aussi de nombreux Hongrois non-Sicules en Roumanie. Certains sont arrivés dès le Moyen-Âge mais la plupart se sont installés quand la Transylvanie a été annexée à l'Empire Austro-Hongrois de 1867 à 1918. Dans toute la Transylvanie, il y a quasiment un continuum de présence des Hongrois et des Sicules. Certaines figures hongroises font partie intégrante de l'histoire de la Roumanie, tel Matthias Corvin, l'un des rois les plus marquants de l'histoire de Hongrie, né à Cluj en Transylvanie.

Les Juifs
Une large minorité de Juifs existait en Roumanie avant-guerre. Une grande partie a fui le pays, ou pris les nationalités russe, bulgare ou hongroise au gré des traités et des conquêtes des pays voisins. Néanmoins, dans ces nouveaux pays comme en Roumanie-même, plusieurs centaines de milliers de Juifs sont exterminés par des régimes collaborant avec le 3ème Reich.
Il reste aujourd'hui à peine quelques milliers de Juifs en Roumanie. Bucarest était cependant un centre culturel et tend aujourd'hui à se re-dynamiser grâce à quelques initiatives culturelles (lycée, théâtre, etc.)

Les Saxons
Les Saxons de Transylvanie se sont installés dès le XIIème siècle en Transylvanie. Ils avaient comme double but l'établissement de colonies marchandes et la défense face aux envahisseurs (Turcs, Tatars, Coumans...) et étaient encouragés et soutenus par les rois de Hongrie.
Le terme de « Saxons » est en partie abusif car ces colons ne venaient pas seulement de Saxe mais aussi d'autres endroits, comme le Luxembourg, la Lorraine ou d'autres régions de l'Allemagne actuelle.
Les Saxons se sont largement organisés autour de quelques grandes villes fortifiées, dont les sept plus connues sont en allemand : Bistritz, Hermannstadt, Klausenburg, Kronstadt, Mediasch, Mühlbach et Schässburg, soit en roumain : Bistriţa, Sibiu, Cluj, Braşov, Mediaş, Sebeş et Sighişoara. Aujourd'hui encore, la Transylvanie est appelée Siebenbürgen (les septs bourgs) en allemand.
Quoique la plupart des Saxons aient aujourd'hui quitté la Roumanie pour s'installer en Allemagne ou en Autriche, la Transylvanie est restée très marquée par la culture germanique, qui se lit sans difficulté dans l'architecture de ses villes et dans la présence d'églises protestantes. La culture germanophone est encore très dynamique en Roumanie.

Les Souabes
Les Souabes du Banat se sont installés au XVIIIème siècle pour peupler la plaine fertile du Banat (région de Timişoara) et protéger la région contre les éventuels envahisseurs ottomans arrivant par les Balkans. Il s'agit encore aujourd'hui d'une minorité active culturellement, bien qu'ils aient, eux aussi, largement émigré vers l'Allemagne et l'Autriche.

Les Ukrainiens (et les Russes)
Les Ukrainiens sont nombreux dans le nord du pays, près de l'Ukraine. Cette zone nord étant l'une des moins peuplées et des plus pauvres (Maramureş actuel), elle n'a pas attiré les attentions précises des grandes puissances au cours de l'histoire. Les Ukrainiens et les Roumains sont donc répartis assez uniformément au sud comme au nord de la frontière (quoique l'entrée de la Roumanie dans l'Union Européenne ait donné aux Roumains d'Ukraine une bonne raison de traverser la frontière). Dans une ville très culturelle comme Sighetu Marmaţiei (40 000 habitants), on trouve une forte minorité ukrainienne, une église ukrainienne, un centre culturel ukrainien.
Les Ukrainiens et les Russes sont aussi, bien évidemment, nombreux dans le « pays Moldavie » (république de Moldova). Dans certaines zones, ils sont quasi-majoritaires.

Les Bulgares et les Serbes
Les Bulgares étaient historiquement installés sur le bord de la Mer Noire. La Dobrogée, cette région côtière de Roumanie, contient beaucoup de Bulgares historiques, de même que le rivage du Danube, des deux côtés de la frontière.
Les « Serbes » se sont installés de façon plus anarchique dans les Balkans et la plaine du Banat ne constituait pas une frontière naturelle nette, telle que pouvait l'être le Danube. Aujourd'hui encore, il y a de nombreux Serbes dans la plaine du Banat et une minorité active dans la ville de Timişoara.
Attention : pour différentes raisons culturelles, politiques et surtout linguistiques, les Roumains ont tendance à qualifier tous les Slaves au sud du Danube de « Serbes ». Cette appellation ne correspond donc pas au pays actuel qu'est la Serbie.
Le mélange historique assez pacifique des Bulgares, Serbes et des Roumains a laissé des traces profondes dans la culture roumaine. La plupart des mots slaves de la langue roumaine sont venus par ces peuples. De plus, les anciens textes en roumain utilisaient l'alphabet cyrillique. On trouve encore cet alphabet sur les inscriptions de certaines vieilles églises.

Les Turcs, les Tatars et les Grecs
Les aléas de l'histoire ont aussi laissé des minorités culturelles turques, tatares et grecques sur le bord de la Mer Noire. Soldats turcs en garnison, ports marchands grecs, Tatars déportés en Crimée par les soviétiques.

Les Aroumains
Les Aroumains sont des minorités historiques roumanophones (ou parlant des dialectes largement inter-compréhensibles) qui ont quitté la région originelle de la Roumanie actuelle au premier millénaire. Ils sont principalement présents dans les pays de l'ancienne Yougoslavie et en Grèce.

Les expats
Il reste de nombreuses minorités dont je n'ai pas parlé mais l'une d'entre elle est très récente et très importante : les expatriés. La ville de Cluj, en Transylvanie, est très appréciée par les étudiants et renommée pour ses soirées Erasmus.
Bucarest est une ville très appréciée par les cadres internationaux. Elle contient même un quartier français spécialement dédié aux expats, près du magnifique parc Herăstrău. Pour des raisons culturelles et linguistiques, les Français, les Italiens et les latins en général bénéficient d'un avantage notable pour s'intégrer en Roumanie.

Tolkien et le racisme

J'ai lu et entendu plusieurs fois des hypothèses, quelquefois élaborées, étayées, en véritables thèses, sur le racisme de Tolkien. Je n'y a jamais ajouté foi.

T
olkien a écrit de nombreuses œuvres, que j'ai lues et relues plusieurs fois, pour la plupart. La notion de race y est omniprésente : elfes, nains, humains, hobbits. On y qualifie les hobbits de semi-hommes. On y montre des « Orientaux », ressemblant à ce qu'un Européen pouvait penser d'un Oriental au début du XXème siècle, alliés à l'ennemi, au mal, et marchant au pas. On peut légitimement se poser la question : Tolkien établit-il une hiérarchie des races ?

Tolkien montre surtout, selon moi, la veulerie des hommes.

Souvenez-vous Prosper Poiredebeurré : en début d'histoire, il méprise et moque les Rôdeurs, ces vagabonds venus d'on-ne-sait-où. En fin d'histoire, il est Gros-Jean comme devant : depuis le départ des Rôdeurs, les bandits attaquent de partout.
Il montre des « Orientaux » qui marchent au pas, certes, mais ne montre-t-il pas plutôt la bêtise des marcheurs au pas, opposée à la liberté d'action et la dignité accordée à tous ceux qui accompagnent Aragorn ?
Il montre certes de beaux hommes dignes, dans un monde idéal, Númenor, mais il montre que les Númenoriens eux aussi sont sensibles à toutes les tentations et y succombent. Númenor finit noyée sous les eaux.

Ce qui discrédite pour moi définitivement la thèse du racisme, c'est cette phrase de l'Ainulindalë décrivant les premiers peuples créés par la volonté divine : « Le sentiment de leur ressemblance mit longtemps à venir. » Car c'est bien là ce qui caractérise une personne luttant contre les xénophobies et le racisme : la pensée omniprésente que l'on peut et doit chercher les ressemblances plutôt que les différences. L'idée que les différences sautent aux yeux tandis que les ressemblances sont plus profondes. Cette phrase-là ne peut pas venir d'un auteur qui accepte une hiérarchie des races.

Voilà pourquoi, quand Tolkien dit dans l'un de ses discours, "I have the hatred of apartheid in my bones", je n'ai pas le moindre doute sur sa sincérité.