Friday, May 31, 2013

Relu et re-contemplé : Flashback, de Florin Andreescu

Un cadeau de ma très chère professeure de roumain, Ana :-D
Environ 160 pages de photos de la Roumanie, entre 1975 et 1995, soit entre l'« époque d'or » et la « transition ». Des photos qui montrent aux jeunes Roumains (et aux jeunes Européens, en général) un passé qu'il ne faut pas oublier.
Certaines de ces photos montrent des choses difficiles à croire :
  • des personnes couchées à même le sol dans une salle d'attente de gare,
  • l'entraide face à la prohibition de l'alcool,
  • les étalages vides et la queue interminable pour les quelques produits restants,
  • les maisons de campagne où les vieux ne meurent pas mais s'endorment profondément,
  • les cultivateurs qui travaillent avec des chevaux,
  • les pêcheurs dans des barques en bois,
  • la foire aux jeunes filles célibataires,
  • les grèves, les manifestations,
  • les politiciens, les élections...
mais partout, des gens, de la vie, de la culture citadine ou campagnarde :-) On met de nos jours tellement l'accent sur l'objet ! L'« accessoire » devient essentiel. Ici, ce sont des gens qui sont photographiés. Je tâcherai de m'en souvenir : mettre les gens, leurs relations, en valeur.

Une photo m'a beaucoup touché car elle représente un lieu que je connais. Il s'agit d'un bâtiment dont la construction a été abandonnée en 1990 :

Ce bâtiment était près de chez moi, quand j'ai habité en Roumanie, voilà à quoi il ressemblait en 2008 :


J'y suis repassé en 2012 et 2013. Bluffant ! Voilà ce à quoi il ressemble aujourd'hui :
 
 

Ce bâtiment abrite aujourd'hui la Bibliothèque Nationale de Roumanie. Là encore, la leçon est apprise : là où il y a de la vie, il y a de l'espoir.

Tuesday, May 28, 2013

Relu : Sanctuary, manga seinen, yakuzas et politiciens

Relu : Sanctuary
Manga de type Seinen
Dessinateur : Ryōichi Ikegami
Scénario : Sho Fumimura


Hojo et Asami sont deux jeunes Japonais rescapés des massacres du Cambodge. Rentrés au Japon, ils constatent à quel point les gens se sont endormis dans une société capitaliste vide d'espoir : consommation, gérontocratie, itinéraires tracés...
Ils se fixent un objectif : donner de l'espoir au Japon. Pour cela, il faut conquérir le pouvoir. Asami se lance en politique et Hojo s'intègre chez les Yakuzas (mafia japonaise). Se soutenant en coulisses, ils gravissent les étages pour changer le Japon, son appareil politique (notamment le parti libéral-démocrate) et son appareil à recycler les rejetés de la société (les Yakuzas).
Une série courte en 12 volumes où l'accent est mis sur la volonté de fer des personnages, qui se lit dans les nombreux gros plans sur les visages des personnages, sur le fait qu'une situation peut toujours être renversée et sur le fait que l'on peut se comporter comme un requin avec des desseins louables. Cette série révèle certains aspects culturels du Japon, notamment l'idée sous-jacente que si le Japon (ou tout autre peuple) s'encroûte et décline, alors il ne mérite pas de survivre, culturellement parlant.

Le leader du parti libéral-démocrate est
représenté comme l'homme qui rend la société inamovible
à coups de stratégies et de corruptions.
Tokai, un chef Yakuza, regrette l'époque où la simple violence
suffisait à un Yakuza pour avoir la belle vie.
Hojo, le Yakuza, joue de son charme pour séduire une
officière de
police et mettre l'ordre de son côté.
Un jeune dirigeant de banque, ambitieux, comprend
les projets d'Asami et d'Hojo. Il en exulte de joie.
La figure machiste du Yakuza est très présente.
Hojo explique pourquoi il entré chez les Yakuzas.
Tashiro, un Yakuza, explique pourquoi il
soutient les projets d'Hojo.

Monday, May 27, 2013

Lu : Éducation populaire : une utopie d'avenir (Franck Lepage, 2012)

Lu : Éducation populaire, une utopie d'avenir
Textes, entretiens et photos rassemblés par Franck Lepage.
Édition Cassandre/Horschamp, collection Les Liens qui Libèrent




Environ 180 pages de textes donnant les souvenirs, les considérations et les retours d'expérience de nombreux acteurs de l'éducation populaire.

Qu'est-ce que l'éducation populaire ? C'est l'idée d'éduquer le peuple par lui-même. Plutôt que de l'amener au théâtre, lui faire jouer le théâtre. Plutôt que de le confronter à l'œuvre aboutie, le mettre en situation, de l'autre côté du rideau. C'est l'idée de libérer, d'émanciper les gens par l'art, par la culture, vécue personnellement et non comme un idéal lointain.

On apprend beaucoup de choses dans ce livre dense. Par exemple, que l'idée n'est pas récente. Elle est évoquée depuis l'époque de la révolution et était très en vogue au début du XXème siècle, jusqu'à l'époque de la décolonisation.
On apprend que l'État français soutenait beaucoup ce genre d'initiatives, sous forme de foyers de jeunes, de théâtres populaires, et pas seulement dans les grandes villes. On apprend que le désengagement de l'État s'est fait pour des raisons essentiellement intra-ministérielles. Plus aucun ministère n'est vraiment en charge de l'éducation populaire. Il reste aujourd'hui :
  • l'Éducation Nationale, qui vise à faire acquérir un savoir canonique peu culturel (non-personnel et ne traitant pas des relations avec les autres),
  • la Culture, qui vise à faire connaître des citoyens les œuvres unilatéralement considérées par le ministère comme dignes d'intérêt,
  • la Jeunesse et les Sports, qui n'a plus de jeunesse que les sports, qui ont raflé budget et attention médiatique.
On rencontre différentes définitions de la culture. Ou plutôt, devrais-je dire, on rencontre plusieurs mises en perspective des phénomènes culturels qui permettent de mieux comprendre ce que l'on peut entendre par culture.
On apprend que des pièces de théâtre amateur peuvent avoir un grand succès local et un véritable impact sur la culture locale. On apprend que nombre des grands acteurs et artistes du XXème siècle ont commencé par le théâtre populaire.
On réalise à quel point la culture, centralisée et monopolisée par le Ministère de la Culture, qui seul définit ce qui est digne de subventions ou non, est à la merci du premier producteur à la chaîne venu. Si un acteur unique peut définir la culture pour le peuple, alors cet acteur peut être remplacé, corrompu, rendu obsolète par un autre.
On prend conscience que l'exhibition des œuvres est forcément une vision passéiste de la culture, tandis que l'incarnation personnelle d'un rôle (quel que soit le type de medium utilisé : théâtre, littérature, cinéma, photographie, conte...) crée l'avenir de la culture.

Quelques citations (sans en donner l'auteur, qui importe peu pour donner une vision d'ensemble) :


« à la fin des années quatre-vingt la multiplication de l'offre culturelle n'a plus d'autre sens que celui de soutenir artificiellement des professions artistiques dont la production n'atteint ni ne concerne la majorité de la population. »


« l'art [...] envisagé comme capacité de métaphoriser un rapport social »


« La culture, c'est l'ensemble des stratégies qu'un individu mobilise pour survivre dans la domination. »


« L'éducation populaire, [...] c'était aider les gens à s'exprimer. »


« Celui qui a désappris de mourir est libre. »


« [...] une démarche artistique exigeante. » [qui exige investissement du spectateur devenu acteur]


« Chacun pour soi, rien pour tous. » [en résumé de la centralisation du pouvoir et de l'individualisation du citoyen]


« Tout metteur en scène sait qu'on trouve des filons, des minerais, des pépites, en travaillant avec des gens à qui on donne le théâtre parce qu'ils en ont besoin pour rétablir une identité ou comme instrument de socialisation. »


« Il ne faut toucher à ce métier qu'avec des mains de feu. »


« Il faudrait redevenir grec pour qu'en leur sein [celui des amateurs] de grands poètes naissent. »


« Les responsables de Drac qui prétendent ne pas pouvoir s'intéresser aux amateurs parce qu'ils en sont coupés administrativement, ça devrait être leur boulot d'aller voir ça, d'aller à l'origine, en amont. »


« Il ne faut pas confondre la culture et le loisir. »


« il faut des instructeurs, des gens qui éveillent. Il faut que se crée l'exemple. »


« Se défaire d'un accent n'est pas quelque chose d'artificiel. »


« Avoir monté Hamlet et Dom Juan en cinq semaines ! Même une troupe professionnelle ne l'aurait pas fait. »


« [en participant comme acteur et non comme spectateur], chacun éprouvait sa distance au rôle, à l'emploi, à l'exploit collectif. [...] Les amateurs sentaient que c'était unique dans leur vie. »


« Il faut des espaces de recherche, de tranquillité, où on lance de véritables espoirs qui font transpirer, qui font peur. »


« les connaisseurs, devant la création [artistique], ça n'existe pas. »


« Chaplin le dit : « Nous ne vivons pas assez pour être autre chose que des amateurs. » »


« L'art de conter est en train de se perdre. Il est de plus en plus rare de rencontrer des gens qui sachent raconter une histoire. »


« La culture de chacun de nous, c'est la mystérieuse présence, dans sa vie, de ce qui devrait appartenir à la mort. [du passé perdu] »


« la question culturelle est une question politique à part entière. »


« Nous avons appris à rédiger nos dossiers de production dans la langue de l'ennemi. [l'unilatéral, le comptable, le top-down] »


« Le fond explose [dans tous les sens du terme] dans les quartiers quand la forme se répand au milieu de la cour d'honneur. »


« La conférence gesticulée, c'est une rencontre entre des savoirs chauds et des savoirs froids. Cela ne donne pas un savoir tiède, mais un orage ! »


« Il n'y a pas d'artistes ni d'experts sans les habitants qui les font naître. »


« notre culture est devant nous. »


« la culture est la plus haute forme de résistance à la violence et la seule condition pour instituer une vie politique. »


« La démocratie est l'essence de la culture, elle est son autre nom, son nom politique, car seule la culture fait advenir le peuple. »