Pour commencer, ce dicton de bon sens paysan « Qui veut tuer son chien lui trouve tous les défauts » ou bien sa version La Fontaine « Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage. »
Oh, certes, je ne m'attendais pas à ce qu'un journaliste infiltré chez Amazon en rapporte des éloges mais, là, on ne peut pas dire que l'auteur ait fait preuve de neutralité. Il a mis son style au service d'une peinture particulièrement orwellienne de l'entrepôt logistique dans lequel il a travaillé. De la pondération ? Aucune. Alors je vais le faire, je vais pondérer. Même le diable a le droit à un avocat, après tout.
Bon, tout un sujet :-( Travaillons problématique par problématique.
Sur le fait d'embaucher essentiellement des intérimaires : C'est vrai, Amazon n'embauche que très peu de CDI, est-ce sa faute cependant si le jeu des impôts, du droit du travail et du marché du travail français font que toute entreprise préfère embaucher des intérimaires quand elle le peut ? (intérimaires, stagiaires, CDD, prestataires, travail au noir... tout est bon pour échapper au CDI)
Sur le fait de faire miroiter un CDI au bout des calvaires précaires successifs : En France, le premier employeur du pays, l'État, est le premier à abuser de cette pratique. Les hôpitaux, par exemple, sont pleins de personnes qui espèrent un CDI ou une titularisation.
Sur le fait de les faire travailler jusqu'à l'épuisement : Les limites sont fixées par la loi. Si vraiment c'est intolérable, pourquoi est-ce tolérable par la loi ? On a interdit bien des pratiques pour moins que ça !
Sur le fait (honteux) qu'Amazon délocalise ses bénéfices au Luxembourg pour payer moins d'impôt sur les sociétés : C'est honteux ! Mais si c'est légal, on ne peut pas le lui reprocher ! Que l'État se démer** pour faire payer les impôts en France, plutôt que de taxer les travailleurs et de saborder les services publics !
Sur le fait qu'Amazon, par des montages, ne paye aucune TVA (honteux encore !) : Encore une fois, tirer sur Amazon, c'est une exécution sommaire. Pourquoi l'État ne fait-il pas son travail de faire appliquer ses propres lois correctement ?
Sur le fait que les intérimaires sont peu payés, en particulier en rapport du travail qu'ils fournissent et des conditions de travail : C'est vrai. Travailler en 3x8, c'est dur. Pourquoi dans ce cas la loi n'oblige-t-elle pas à payer mieux le travail de nuit ?
Sur l'organisation "scientifique" du travail, passage à l'échelle, rationalisation, 5 s, etc. : Toutes les grandes entreprises font ça. Le seul tort d'Amazon n'est même pas de le faire davantage que les autres, c'est d'être fondé sur un business model qui s'y prête mieux.
Sur le "have fun", qui grâce à des bonbons, des bons-cadeaux, des concours internes, etc. aide encore à maintenir les employés dans le moule : Toutes les grandes entreprises font ça. Toutes. Et nos « fleurons » français renfloués à grands coups de milliards de subventions ou de crédits d'impôts, sont les maîtres en la matière !
Sur le fait de faire courir les employés vers toujours plus de productivité : Ça peut être éreintant, sans le moindre doute. Toutefois, une entreprise qui ne chercherait pas la productivité de ses salariés aurait un grave problème. En particulier, je peux affirmer qu'une entreprise où la réussite du travail commun n'est pas la première préoccupation est le pire endroit où travailler. Quand les gens sentent que la réussite des objectifs affichés n'est pas liée à leur avancement, alors le lieu de travail devient un panier de crabe. Chacun trouve ses propres objectifs, les petits chefs cherchent à maintenir leurs petits territoires, les pires manies se trouvent justifiées, etc.
Sur les camps de concentration comparés page 79, il faut tout de même que je décerne 1 point Godwin :
Sur les procédures disciplinaires successives en cas de non-atteinte de objectifs, allant jusque – à terme – au licenciement : Amazon se paye au moins le luxe d'être carré et prévisible sur ce sujet. L'ensemble de la démarche disciplinaire est connu ! La plupart des grandes entreprises se réservent un arbitraire complet sur les raisons qui mènent à une démarche de licenciement.
Sur la destruction-créatrice, versant « disparition de l'activité de libraire » : Les bons libraires survivent mais c'est vrai que les temps sont durs pour eux. Au moins, on peut enfin entrer dans une librairie et s'adresser à des gens qui sont vraiment motivés et souhaitent vendre. Il n'y a pas de raison non plus que les boutiques qui vivotent sur une clientèle captive aient leur business assuré jusqu'à la fin des temps, non ?
Sur la destruction-créatrice, versant « disparition de nombreux emplois en boutique » : C'est vrai, l'activité d'Amazon emploie beaucoup moins de monde que l'activité des libraires. Mais d'une, si Amazon ne le fait pas, un autre le fera, ou bien la téléréalité finira de ronger les livres, et de deux, pourquoi l'État se met-il en tête de financer avec nos deniers la construction des sites d'Amazon ? Cet arbitraire public complet, nuisible à la concurrence et, en l'occurrence, au simple bon sens, est malheureusement la règle en France.
Voilà, pour conclure, tout comme les employés décrits dans le livre, je dirais « Amazon, c'est pas terrible, mais en ce moment, il n'y a que ça ! ». Il faut bien comprendre que le choix n'est pas Amazon ou pas-Amazon, le choix est Amazon-tel-qu'il-est ou quoi-d'autre. Et sur le quoi d'autre, je l'ai dit plusieurs fois plus haut et je le répète : l'État est le premier coupable de la situation.