Saturday, June 10, 2023

Lu : Le président absolu, la Ve République contre la démocratie, de Philippe Fabry, 2022


Eh oui, quand on a lu Vermes, Teulé et St-Ex, il faut aller crescendo et libre Fabry. En quelques pages, il explique comment notre République s'éloigne de plus en plus de la démocratie de représentation et de toute autre forme de démocratie, comment l'élection au suffrage universel direct et la pratique du référendum nous rapprochent de plus en plus d'un absolutisme soutenu par plébiscite, comment -contrairement peut-être aux préjugés- ça n'a rien d'un phénomène général et que la France passe pour une exception dans les démocraties occidentales, même par comparaison aux Etats-Unis. Aucun Président de la République au monde ne rassemble autant de pouvoirs que celui de la République française.

Il explique aussi que les institutions prévues par les textes ne sont pas tout et que c'est, exemples historiques à l'appui, toujours la pratique politique qui finit par avoir le dernier mot face aux textes. Au final, Fabry suggère d'éviter l'enlisement et la destruction finale des restes de notre culture démocratique grâce à un coup d'état parlementaire : les parlementaires doivent instituer, de gré ou de force, une nouvelle répartition des pouvoirs qui supprimera le rôle central du Président de la République.

Lu : Azincourt par temps de pluie, 2022, de Jean Teulé



Je ne connaissais Jean Teulé que de nom et d'avoir effeuillé quelques BD en rayonnage à la librairie Bulle au Mans. Il s'agit ici d'un court roman racontant au plus près la bataille d'Azincourt, 1415. En bref, des Français en large supériorité numérique, bien équipés et ravitaillés, sûrs de leur victoire et en face, des Anglais déprimés, résignés à la défaite, affamés et pour beaucoup malades. Orgueil, certitudes, impréparation militaire, mauvais commandement font que les Anglais l'emportèrent quand même et infligèrent à la France l'une des plus cuisantes défaites de la guerre de cent ans, qui ne fut pas pauvre en défaites.

C'est un roman graphique. Un roman sur base historique, mais pas un roman érudit. Il ne vise pas non plus à la parfaite exactitude historique quoiqu'il soit bien renseigné : certains détails proviennent de l'imagination de l'auteur. Je parle de roman graphique car on pourrait s'imaginer dans un de ces films à forte ambiance à la Tarantino ou une de ces BD du même acabit comme celles de Frank Miller. On donne à voir, aussi près de l'action que possible, comme si l'on y était, témoin invisible mais aux premières loges. 

On parcourt ainsi alternativement les deux camps, avant la bataille, pendant la bataille et après la bataille, et rien n'est oublié du grandiose, du pathétique et du dérisoire. La dureté, les moments de relâche, la peur qui change de camp. Les bruits, les odeurs, les paroles échangées.

Il faudrait une adaptation graphique, cinéma ou BD 🙂

Lu : Le Petit Prince

Il faut bien une première fois ! Je ne crois pas du tout que ce soit un livre pour les enfants. Ou peut-être un livre à lire avec ses enfants. Les ficelles de l'écriture sont connues alors je ne vais pas m'étendre. L'auteur désarme nos réflexes argumentaires en situant l'action dans des planètes dont on sait qu'elles ne peuvent exister, désarmant ainsi notre besoin de réalisme, on se situe dès lors dans l'imaginaire accepté (merveilleux) propice aux vérités simples. De plus, il fait parler des animaux et des personnages caricaturaux, très distants de nous, limitant notre identification aux personnages aux seuls éléments qui nous sont directement donnés par l'auteur et diminuant ainsi notre empathie. Pour finir, il fait parler un enfant qui, lui, maximise notre empathie et notre identification. Ficelles mille fois réutilisées depuis mais jamais aussi brillamment je crois.



Wednesday, June 7, 2023

Lu : Il est de retour, de Timur Vermes. Roman, 390 pages.

Hitler revient à la vie (on ne sait pas pourquoi) un beau jour d'été 2011, dans un terrain vague de Berlin, près du lieu où se trouvait son ancien bunker. Il n'a pas de souvenirs de son suicide, et croit être en 1945, avec les Russes sur le point d'envahir Berlin. Il cherche son bunker, ses ministres, ses soldats... Mais non, nous sommes bien en 2011 et Hitler cherche à comprendre pourquoi -- non, il ne cherche pas comprendre pourquoi il est là, il cherche à comprendre ce qu'il doit faire pour aider son pays, la race germanique, déjouer les complots juifs, etc. Il est rapidement aidé par des gens qui le prennent pour un comique imitant Hitler, puis obtient d'écrire des articles, d'être invité à une émission de radio, de monter un site web, etc. Il propage toujours ses idées, très ouvertement, sans la moindre honte, sans le moindre compromis, sans la moindre reculade, mais elles sont prises par beaucoup pour des plaisanteries dénonçant indirectement l'état du pays.

Je ne raconte que le début, car c'est très drôle, si on aime l'humour allemand qui traîne dans la longueur, avec une certaine lourdeur, qu'il faut apprécier comme une forêt-noire, pas trop à la fois. (Je ne peux m'empêcher de penser à Süskind mais je ne suis pas expert en littérature allemande.) Je le recommande franchement. Je précise qu'il n'y a aucun rapport entre ce livre et les histoires de science-fiction ou d'horreur mettant en scène le retour des nazis. D'ailleurs, Hitler est le seul nazi tout au long de l'histoire.


En fait, il s'agit d'une satire de la société allemande, vue par les yeux d'Hitler qui sont des verres polarisants. Si Hitler s'étonne de quelque chose, cela rappelle que cette chose n'a pas toujours été. Si Hitler dénonce ou s'enthousiasme de quelque chose, est-on de l'avis contraire (pourquoi ?) ou du même avis (pourquoi ?) On entend déjà les cris d'orfraies si la chose arrivait réellement : "Vous êtes du même avis qu'Hitler ? Comment osez-vous ?" Et on se pose ces questions tout au long du livre, au fur et à mesure des découvertes d'Hitler confronté à l'Allemagne moderne. Tout y passe : la monnaie européenne, la paix avec les Français, le métissage, les Turcs immigrés, le niveau scolaire, l'état de l'armée, l'opposition entre Etats-Unis et Russie, la presse, l'informatique, le web, wikipedia, la politique, les nationalistes... Il passe tout au crible et prend note afin d'élaborer son programme politique. Et on l'accompagne dans ses jugements de valeur qui permettent d'interroger les nôtres.