Wednesday, August 7, 2013

Petit calcul à dose homéopathique

Le terme de médicament convient-il à l'Oscillococcinum ? L'État a tranché, non. Il s'agit d'une "préparation homéopathique". Jetons un œil à sa composition.


Le principe actif est supposé provenir de foie et de cœur de canard de barbarie. 35 grammes du premier et 15 grammes du second pour 1 litre soumis à enzymes. Simplifions grossièrement en supposant qu'il y a effectivement 40 grammes de produit actif dans 1 litre du mélange de base (hypothèse très très optimiste).

Supposons aussi que le produit actif a une masse molaire de 40 000 grammes par mole (hypothèse légèrement optimiste).

Il y a donc 0,001 (1 millième) de mole de produit actif dans 1 litre de la préparation de base. Celle-ci est ensuite diluée selon le principe homéopathique :
  • la dilution se fait au centième,
  • et elle est répétée 200 fois.
On divise donc deux cent fois la concentration de la préparation de base par cent. C'est-à-dire qu'on la divise par 10^400 (un 1 avec 400 zéros derrière). Elle était au départ de 0,001 mole par litre, elle est après cette dilution de 10^-403 mole par litre.

Soyons fair play. On parle ici en moles et non en molécules. Il y a 6x10^23 molécules dans une mole. Exprimée en molécules par litre, la concentration de l'Oscillococcinum est de 6x10^-380 molécules par litre. C'est à dire un zéro, une virgule, 379 zéros et enfin un 6 ou, plus visuellement 0,0000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000006 molécules dans un litre.

Dit autrement, on peut passer une vie entière à prendre de l'Oscillococcinum tous les jours, plusieurs fois par jour, sans jamais voir passer la moindre molécule de produit actif.

Pour référence, on a environ une chance sur 100 millions de gagner à l'EuroMillions (5 chiffres + 2 étoiles), c'est-à-dire environ  dix millions de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de fois plus de chances de gagner le gros lot à l'EuroMillions que de trouver une molécule utile dans un litre d'Oscillococcinum.

Alors siouplait, si vous n'allez pas bien ou que vos enfants ne vont pas bien, allez voir un médecin.

Monday, August 5, 2013

Vu : Pacific Rim, 2013

Vu Pacific Rim, de Guillermo del Toro, 2013.


Scénario : Des monstres gigantesques (plusieurs dizaines de mètres) surgissent régulièrement de la grande faille du pacifique. Pour lutter contre eux, des robots immenses sont fabriqués, contrôlés par leurs pilotes humains dont les cerveaux sont directement branchés sur les machines. Cependant, les robots deviennent insuffisants, trop lents à construire ou à réparer, les bons pilotes trop rares, face à des ennemis qui évoluent, deviennent plus forts et plus sournois. Une mission de dernière chance est tentée pour pénétrer l'antre des monstres et détruire la menace à sa base.

Critique : Ce n'est pas le film du siècle, ni même de l'année. Pour les amateurs de SF ou les amateurs de films de guerre, c'est un bon moment. Niveau effets spéciaux, c'est du costaud, je pense qu'une partie de l'équipe Transformers a dû être réembauchée ;-)
L'inspiration Evangelion est évidente avec toutefois une volonté de s'écarter pour réaliser un œuvre à part entière. D'abord, moins de symbolique et plus de SF. Évidemment, nous sommes au cinéma, pas de formule scientifique, pas de grand raisonnement logique. On est plus dans la pseudo-SF si typique du cinéma où l'on laisse le spectateur s'auto-suggérer les explications qu'il souhaite.
Ensuite, il y a cette nouveauté du cinéma américain qu'est le mélange des genres. Afin que chaque spectateur trouve une branche à laquelle se raccrocher, on prend des américains, des noirs-américains, des japonais, on situe l'action à Hong-Kong, mi-chinoise mi-occidentale. On prend des décors dégoulinants de rouille et on ajoute des chambres secrètes garnies de néons et de carbone flambant neuf. On raconte des horreurs et on place une histoire d'amour entre un père et sa fille adoptée. On entraine des pilotes surhommes mais on laisse une place à la lutte d'ego entre un père pilote et son fils, pilote aussi. On montre des massacres à grande échelle de civils innocents et, pour relativiser, on les pondère par la mort ironique d'un sale-type trop prétentieux. Bref, du cinoche américain.
La partie qui m'aurait le plus intéressé, cette jonction bio-mécanique entre le robot et ses pilotes, est très peu détaillée.

Bref, si vous avez deux heures pour vous détendre, allez voir Pacific Rim. Si vous avez le temps, allez lire ou regarder la série Evangelion, on n'a toujours pas fait mieux.


La bande-annonce ci-dessous :

Wednesday, July 31, 2013

Ne pas se créer de difficultés...

J'ai encore lu cette absurdité : le verbe créer serait trop complexe à conjuguer, en particulier son participe passé. Je ne veux plus entendre ça. C'est un verbe comme un autre qui n'offre aucune difficulté ! Il se conjugue exactement comme tous les verbes du 1er groupe, les verbe en -er.

Exemple en parallèle avec fabriquer, le radical est cré- au lieu d'être fabriqu-, tout le reste est identique :
Fabriqu-erCré-er
Je fabriqu-eJe cré-e
Tu fabriqu-esTu cré-es
J'ai fabriqu-éJ'ai cré-é
La maison que j'ai fabriqu-éeLa maison que j'ai cré-ée
Les maisons que j'ai fabriqu-éesLes maisons que j'ai cré-ées

Alors, arrêtez les conneries et relisez-vous !

Saturday, July 27, 2013

L'amour, par Henri Laborit

L'amour

«
Avec ce mot on explique tout, on pardonne tout, on valide tout, parce que l'on ne cherche jamais à savoir ce qu'il contient. C'est le mot de passe qui permet d'ouvrir les cœurs, les sexe, les sacristies et les communautés humaines. Il couvre d'un voile prétendument désintéressé, voire transcendant, la recherche de la dominance et le prétendu instinct de propriété. C'est un mot qui ment à longueur de journée et ce mensonge est accepté, la larme à l'œil, sans discussion, par tous les hommes. Il fournit une tunique honorable à l'assassin, à la mère de famille, au prêtre, aux militaires, aux bourreaux, aux inquisiteurs, aux hommes politiques. Celui qui oserait le mettre à nu, le dépouiller jusqu'à son slip des préjugés qui le recouvrent, n'est pas considéré comme lucide mais comme cynique. Il donne bonne conscience, sans gros efforts, ni gros risques, à tout l'inconscient biologique. Il déculpabilise, car pour que les groupes sociaux survivent, c'est-à-dire maintiennent leurs structures hiérarchiques, les règles de la dominance, il faut que les motivations profondes de tous les actes humains soient ignorés. Leur connaissance, leur mise à nu, conduirait à la révolte des dominés, à la contestation des structures hiérarchiques. Le mot d'amour se trouve là pour motiver la soumission, pour transfigurer le principe du plaisir, l’assouvissement de la dominance. Je voudrais essayer de découvrir ce qu'il peut y avoir derrière ce mot dangereux, ce qu'il cache sous son apparence mielleuse, les raisons millénaires de sa fortune. Retournons aux sources.
»

— incipit de l'Éloge de la fuite, d'Henri Laborit

Wednesday, June 26, 2013

Lu : En Amazonie, Infiltré dans le « meilleur des mondes »

Lu : En Amazonie, Infiltré dans le « meilleur des mondes »

Pour commencer, ce dicton de bon sens paysan « Qui veut tuer son chien lui trouve tous les défauts » ou bien sa version La Fontaine « Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage. »

Oh, certes, je ne m'attendais pas à ce qu'un journaliste infiltré chez Amazon en rapporte des éloges mais, là, on ne peut pas dire que l'auteur ait fait preuve de neutralité. Il a mis son style au service d'une peinture particulièrement orwellienne de l'entrepôt logistique dans lequel il a travaillé. De la pondération ? Aucune. Alors je vais le faire, je vais pondérer. Même le diable a le droit à un avocat, après tout.

Bon, tout un sujet :-( Travaillons problématique par problématique.



Sur le fait d'embaucher essentiellement des intérimaires : C'est vrai, Amazon n'embauche que très peu de CDI, est-ce sa faute cependant si le jeu des impôts, du droit du travail et du marché du travail français font que toute entreprise préfère embaucher des intérimaires quand elle le peut ? (intérimaires, stagiaires, CDD, prestataires, travail au noir... tout est bon pour échapper au CDI)

Sur le fait de faire miroiter un CDI au bout des calvaires précaires successifs : En France, le premier employeur du pays, l'État, est le premier à abuser de cette pratique. Les hôpitaux, par exemple, sont pleins de personnes qui espèrent un CDI ou une titularisation.

Sur le fait de les faire travailler jusqu'à l'épuisement : Les limites sont fixées par la loi. Si vraiment c'est intolérable, pourquoi est-ce tolérable par la loi ? On a interdit bien des pratiques pour moins que ça !

Sur le fait (honteux) qu'Amazon délocalise ses bénéfices au Luxembourg pour payer moins d'impôt sur les sociétés : C'est honteux ! Mais si c'est légal, on ne peut pas le lui reprocher ! Que l'État se démer** pour faire payer les impôts en France, plutôt que de taxer les travailleurs et de saborder les services publics !

Sur le fait qu'Amazon, par des montages, ne paye aucune TVA (honteux encore !) : Encore une fois, tirer sur Amazon, c'est une exécution sommaire. Pourquoi l'État ne fait-il pas son travail de faire appliquer ses propres lois correctement ?

Sur le fait que les intérimaires sont peu payés, en particulier en rapport du travail qu'ils fournissent et des conditions de travail : C'est vrai. Travailler en 3x8, c'est dur. Pourquoi dans ce cas la loi n'oblige-t-elle pas à payer mieux le travail de nuit ?

Sur l'organisation "scientifique" du travail, passage à l'échelle, rationalisation, 5 s, etc. : Toutes les grandes entreprises font ça. Le seul tort d'Amazon n'est même pas de le faire davantage que les autres, c'est d'être fondé sur un business model qui s'y prête mieux.

Sur le "have fun", qui grâce à des bonbons, des bons-cadeaux, des concours internes, etc. aide encore à maintenir les employés dans le moule : Toutes les grandes entreprises font ça. Toutes. Et nos « fleurons » français renfloués à grands coups de milliards de subventions ou de crédits d'impôts, sont les maîtres en la matière !

Sur le fait de faire courir les employés vers toujours plus de productivité : Ça peut être éreintant, sans le moindre doute. Toutefois, une entreprise qui ne chercherait pas la productivité de ses salariés aurait un grave problème. En particulier, je peux affirmer qu'une entreprise où la réussite du travail commun n'est pas la première préoccupation est le pire endroit où travailler. Quand les gens sentent que la réussite des objectifs affichés n'est pas liée à leur avancement, alors le lieu de travail devient un panier de crabe. Chacun trouve ses propres objectifs, les petits chefs cherchent à maintenir leurs petits territoires, les pires manies se trouvent justifiées, etc.

Sur les camps de concentration comparés page 79, il faut tout de même que je décerne 1 point Godwin :

Sur les procédures disciplinaires successives en cas de non-atteinte de objectifs, allant jusque – à terme – au licenciement : Amazon se paye au moins le luxe d'être carré et prévisible sur ce sujet. L'ensemble de la démarche disciplinaire est connu ! La plupart des grandes entreprises se réservent un arbitraire complet sur les raisons qui mènent à une démarche de licenciement.

Sur la destruction-créatrice, versant « disparition de l'activité de libraire » : Les bons libraires survivent mais c'est vrai que les temps sont durs pour eux. Au moins, on peut enfin entrer dans une librairie et s'adresser à des gens qui sont vraiment motivés et souhaitent vendre. Il n'y a pas de raison non plus que les boutiques qui vivotent sur une clientèle captive aient leur business assuré jusqu'à la fin des temps, non ?

Sur la destruction-créatrice, versant « disparition de nombreux emplois en boutique » : C'est vrai, l'activité d'Amazon emploie beaucoup moins de monde que l'activité des libraires. Mais d'une, si Amazon ne le fait pas, un autre le fera, ou bien la téléréalité finira de ronger les livres, et de deux, pourquoi l'État se met-il en tête de financer avec nos deniers la construction des sites d'Amazon ? Cet arbitraire public complet, nuisible à la concurrence et, en l'occurrence, au simple bon sens, est malheureusement la règle en France.



Voilà, pour conclure, tout comme les employés décrits dans le livre, je dirais « Amazon, c'est pas terrible, mais en ce moment, il n'y a que ça ! ». Il faut bien comprendre que le choix n'est pas Amazon ou pas-Amazon, le choix est Amazon-tel-qu'il-est ou quoi-d'autre. Et sur le quoi d'autre, je l'ai dit plusieurs fois plus haut et je le répète : l'État est le premier coupable de la situation.

Sunday, June 23, 2013

Lu : Europe Japon, regards croisés en bandes dessinés

Lu : Europe Japon, regards croisés en bandes dessinées


La présentation de cet ouvrage collectif est amusante : deux parties, une concernant le Japon tel que vu dans les bandes dessinées européennes, l'autre présentant l'Europe telle que vue dans les mangas japonais. La conclusion de l'ouvrage étant située... en plein milieu !

Il s'agit d'une présentation des interactions entre ces pays et leurs bandes dessinées, suivant un certain nombre de thématiques. On y a apprend beaucoup de choses sur divers sujet et je suis confiant en disant que même l'amateur invétéré de manga découvrira des aspects ou des auteurs qu'il ne connaissait pas.

Chaque thème est illustré avec des extraits des différents mangas ou bandes dessinées, en citant bien titres et auteurs, mais fait aussi l'objet de paragraphes explicatifs. On découvre ainsi que l'interaction Europe-Japon dans le domaine de la bande dessinée a commencé au XIXème siècle. En fait, elle a même démarré sur les chapeaux de roue à la fin du XIXème et au début du XXème siècle. (Nos échanges actuels démarrés dans les années 80 et 90 n'en sont que les héritiers.)
À cette époque, le Japon s'occidentalisait à grande vitesse et participait au concert (à la cacophonie) des armées du monde. Il s'opposait tour à tour à la Russie, à la Chine, etc. Chacune de ces guerres était l'occasion d'échanges intenses dans les correspondances et surtout, de reportages dans les journaux de l'époque.
Si le journal papier de qualité a en grande partie disparu de nos jours (son plus digne successeur étant le flux RSS), à l'époque, il était le principal vecteur d'information. Ces journaux étaient illustrés, tant au Japon qu'en Europe. Ces illustrations étaient soit informatives soit satiriques : le petit dessin à la Charlie Hebdo n'est pas jeune ! En fait, il a été importé au Japon par des éditeurs français et anglais installés là-bas. Étrange, d'apprendre que beaucoup de dessinateurs japonais considèrent un français, Georges Ferdinand Bigot, comme l'un des précurseurs du manga ! De son côté, les bandes dessinées se sont beaucoup inspirées du Japon pour ses estampes et, bien sûr, pour son contenu culturel.

On voit ainsi une large influence mutuelle. Le Japon évoque à propos de l'Europe : sa gastronomie, son histoire, ses mythologies, sa Belle Époque, son architecture. L'Europe évoque à propos du Japon : ses samouraïs, le niveau de codification des règles sociales, sa rapide transformation pendant l'ère Meiji, ses rituels tels que la cérémonie du thé...

L'influence mutuelle continue de plus belle après la seconde guerre mondiale. Le thème du vide ressenti par les soldats après la guerre est pro-éminent. Le boom de la fin du XXème siècle annonce la vague que nous connaissons : le manga moderne qui influence largement l'Europe. On sent aussi une légère amertume des auteurs quant au manque de pénétration de la bande dessinée européenne moderne au Japon, avec quelques exceptions constituées d'auteurs qui travaillent des deux côtés et assimilent les deux référentiels culturels. Frédéric Boilet et Jiro Taniguchi en sont de bons exemples.

J'ai aussi appris une chose que j'ignorais entièrement : les Japonais font un large usage du manga pour l'apprentissage de la culture. Ainsi, des mangas sont publiés sur de nombreux sujets d'histoire ou de géographie européenne. Tout force la curiosité, semble-t-il.

Bref, un bon ouvrage qui ravira tous ceux qui prendront le temps de le lire et non seulement de le parcourir :-)

Lu : du Fred Uhlman : « L'ami retrouvé », « La lettre de Conrad » et « Pas de résurrection, s'il vous plaît »

J'ai relu L'ami retrouvé, qui est l'œuvre littéraire la plus connue de Fred Uhlman.Une pièce de plus parmi ces livres que l'on m'a fait connaître au lycée et qui ont fondé ma culture personnelle. À quelques temps de là, j'ai découvert par hasard sur les rayons du seul bouquiniste survivant à Poitiers un volume rassemblant La lettre de Conrad et Pas de résurrection, s'il vous plaît, du même auteur.


Les trois œuvres forment un ensemble assez cohérent. Elles mêlent une part de fiction avec de nombreux éléments autobiographiques. Fred Uhlman était un jeune juif, très attaché à son pays, la Souabe, avocat prometteur, forcé de fuir l'Allemagne d'Hitler et que les horreurs du nazisme ont changé à jamais : il a arrêté de parler allemand, publié en anglais, s'est installé en Angleterre, est devenu peintre et écrivain.

Dans L'ami retrouvé, paru en 1971, le personnage phare est Hans Schwarz, jeune juif étudiant au Karl Alexander Gymnasium à Stuttgart. Il raconte sa rencontre et son amitié avec Conrad Graf von Hohenfels, un jeune homme d'une grande famille historique de la Souabe. Conrad lui avoue sur la fin l'antisémitisme ancestral de sa mère ainsi que sa propre préférence pour Hitler (« Il nous faut choisir entre Staline et Hitler, et je préfère Hitler. »). Son meilleur ami s'est transformé en nazi ! Hans quitte l'Allemagne pour l'Amérique et refuse dès lors tout contact avec son pays originel. Bien après la guerre, il reçoit tout de même des nouvelles de son ancien lycée et apprend que Conrad est mort en héros, exécuté pour avoir participé à une tentative d'assassinat sur Hitler. D'où le titre.

Dans La lettre de Conrad, paru en 1985, les mêmes personnages sont repris. Il s'agit ici d'une lettre que Conrad écrit à Hans alors qu'il est captif, après son arrestation pour complot sur Hitler, quelques jours avant son exécution. Conrad reprend les mêmes éléments et retrace leur amitié. Il apporte cependant une vue complémentaire, pas toujours identique, sur le déroulement des évènements marquants de leur complicité. (Il y aurait matière à faire une comparaison précise, ces différences d'interprétations sont porteuses de sens.) Il aborde aussi sa conversion au nazisme, puis sa motivation pour assassiner Hilter. Il parle aussi de la mort, de l'affreuse perspective.

Dans Pas de résurrection, s'il vous plaît, les personnages ne sont pas les mêmes, mais ils tirent encore beaucoup d'éléments de la vie de l'auteur. Simon Elsas est un juif qui a quitté l'Allemagne pour l'Amérique avant le nazisme et qui après la guerre, par une curiosité étrange, décide de faire escale dans sa ville originelle de Stuttgart. Il y retrouve certains lieux, détruits ou non, des souvenirs, sa fiancée de l'époque qui le reconnaît à peine, et ses anciens camarades de lycée, regroupés en amicale. Cette amicale très enjouée, nourrie de force bières et chansons, tente de recréer une cordialité, dans l'Allemagne d'après-guerre. Simon y brise l'ambiance en expliquant qu'il ne peut passer une soirée amicale avec des gens dont il ne connaît pas le passé et les actions pendant la guerre. Les anciens camarades se déchirent alors au souvenir des actes de chacun. Et Simon quitte le pays en se réjouissant d'avoir trouvé l'art comme exutoire et d'être devenu peintre.

Il y a quelques thèses sous-jacentes communes à ces œuvres. La principale est que la nature est belle et que seul l'homme en fait un enfer :
« Les collines bleuâtres de la Souabe, pleines de douceur et de sérénité, étaient couvertes de vignobles et de vergers et couronnées de châteaux. [...] Et le Neckar coulait lentement autour d'îles plantées de saules. »

« Avec ses poiriers aux fruits jaunes, ses innombrables rosiers sauvages, le paysage se reflète dans le lac. [...] Les murs se dressent, muets et froids, et, dans le vent, claquent les étendards gelés. »

« Tout ce que je savais, c'est que c'était là ma patrie, mon foyer, sans commencement ni fin, et qu'être juif n'avait fondamentalement pas plus d'importance que d'être né avec des cheveux bruns et non avec des cheveux roux. Nous étions Souabes avant toute chose, puis Allemands, et puis Juifs. »

L'homme est décrit comme portant en lui les racines de cet enfer :
« Nous le méprisions parce qu'il était doux et bon et avait l'odeur d'un homme pauvre ; [...] cette lâche cruauté qui est celle des garçons bien portants à l'égard des faibles, des vieux et des êtres sans défense. »

« Nous [étant enfants] considérions comme efféminée toute tentative d'élégance. »


Et la conclusion vient naturellement, l'enfer se réalise à l'âge d'homme. Avec une conséquence, entre autres, le rejet de la religion.
« ou bien aucun Dieu n'existait, ou bien il existait une déité, monstrueuse si elle était toute-puissante et vaine si elle ne l'était point. Une fois pour toutes, je rejetai toute croyance en un être supérieur et bienveillant. »

« Pas de résurrection, s'il vous plaît. Un seul enfer suffit ! »

« Ce monde était un véritable asile de fous ! »


Un bien beau triptyque littéraire à faire lire aux jeunes "intelligents mais déculturés et en voie de perdition", comme j'en rencontre tellement. Je note pour finir que le dernier des trois, Pas de résurrection, s'il vous plaît, est assurément le plus noir :
« La grâce première disent les anciens
Est de n'être jamais né.
De n'avoir jamais vu le jour.
La seconde : c'est de tirer sa révérence
Et de quitter les lieux le plus vite possible. »

Sunday, June 16, 2013

Grand Projet Johnny Hallyday

Suite à l'ébullition due au concert donné par Johnny Hallyday à l'occasion de ses 70 ans, j'ai décidé de m'inscrire moi-même dans une dynamique parallèle à la carrière du chanteur.

La démarche consiste en l'épargne régulière de montants conséquents, ce afin d'amasser un pécule confortable, me permettant de mettre à exécution mes desseins. Il est en effet important de constater que, en rapport d'un phénomène tel que Johnny Hallyday, l’idole des jeunes et des moins jeunes, notre star américaine nationale, aucune initiative personnelle ne saurait être exagérée. Les contributions des bonnes volontés qui lisent ce texte ne seront pas dédaignées, l'heure n'étant pas aux économies.

Cet ambitieux projet que je nourris aura pour point d'orgue mon départ pour une contrée lointaine et non-francophone, pour une durée minimale de douze mois à compter de la mort du grand artiste, dans une tentative — je le crains — vaine, d'échapper aux multiples hommages qui lui seront rendus et aux rediffusions médiatiques soldées qui lui rendront, elles aussi, un hommage calculé.

Si toutefois des scènes d'auto-flagellations publiques de fans dès lors orphelins et désespérés devaient s'ensuivre, je vous encouragerais à me les faire suivre par petits paquets discrets, toute bêtise humaine ayant sa contrepartie dans l'antimatière zygomatique.

Friday, May 31, 2013

Relu et re-contemplé : Flashback, de Florin Andreescu

Un cadeau de ma très chère professeure de roumain, Ana :-D
Environ 160 pages de photos de la Roumanie, entre 1975 et 1995, soit entre l'« époque d'or » et la « transition ». Des photos qui montrent aux jeunes Roumains (et aux jeunes Européens, en général) un passé qu'il ne faut pas oublier.
Certaines de ces photos montrent des choses difficiles à croire :
  • des personnes couchées à même le sol dans une salle d'attente de gare,
  • l'entraide face à la prohibition de l'alcool,
  • les étalages vides et la queue interminable pour les quelques produits restants,
  • les maisons de campagne où les vieux ne meurent pas mais s'endorment profondément,
  • les cultivateurs qui travaillent avec des chevaux,
  • les pêcheurs dans des barques en bois,
  • la foire aux jeunes filles célibataires,
  • les grèves, les manifestations,
  • les politiciens, les élections...
mais partout, des gens, de la vie, de la culture citadine ou campagnarde :-) On met de nos jours tellement l'accent sur l'objet ! L'« accessoire » devient essentiel. Ici, ce sont des gens qui sont photographiés. Je tâcherai de m'en souvenir : mettre les gens, leurs relations, en valeur.

Une photo m'a beaucoup touché car elle représente un lieu que je connais. Il s'agit d'un bâtiment dont la construction a été abandonnée en 1990 :

Ce bâtiment était près de chez moi, quand j'ai habité en Roumanie, voilà à quoi il ressemblait en 2008 :


J'y suis repassé en 2012 et 2013. Bluffant ! Voilà ce à quoi il ressemble aujourd'hui :
 
 

Ce bâtiment abrite aujourd'hui la Bibliothèque Nationale de Roumanie. Là encore, la leçon est apprise : là où il y a de la vie, il y a de l'espoir.

Tuesday, May 28, 2013

Relu : Sanctuary, manga seinen, yakuzas et politiciens

Relu : Sanctuary
Manga de type Seinen
Dessinateur : Ryōichi Ikegami
Scénario : Sho Fumimura


Hojo et Asami sont deux jeunes Japonais rescapés des massacres du Cambodge. Rentrés au Japon, ils constatent à quel point les gens se sont endormis dans une société capitaliste vide d'espoir : consommation, gérontocratie, itinéraires tracés...
Ils se fixent un objectif : donner de l'espoir au Japon. Pour cela, il faut conquérir le pouvoir. Asami se lance en politique et Hojo s'intègre chez les Yakuzas (mafia japonaise). Se soutenant en coulisses, ils gravissent les étages pour changer le Japon, son appareil politique (notamment le parti libéral-démocrate) et son appareil à recycler les rejetés de la société (les Yakuzas).
Une série courte en 12 volumes où l'accent est mis sur la volonté de fer des personnages, qui se lit dans les nombreux gros plans sur les visages des personnages, sur le fait qu'une situation peut toujours être renversée et sur le fait que l'on peut se comporter comme un requin avec des desseins louables. Cette série révèle certains aspects culturels du Japon, notamment l'idée sous-jacente que si le Japon (ou tout autre peuple) s'encroûte et décline, alors il ne mérite pas de survivre, culturellement parlant.

Le leader du parti libéral-démocrate est
représenté comme l'homme qui rend la société inamovible
à coups de stratégies et de corruptions.
Tokai, un chef Yakuza, regrette l'époque où la simple violence
suffisait à un Yakuza pour avoir la belle vie.
Hojo, le Yakuza, joue de son charme pour séduire une
officière de
police et mettre l'ordre de son côté.
Un jeune dirigeant de banque, ambitieux, comprend
les projets d'Asami et d'Hojo. Il en exulte de joie.
La figure machiste du Yakuza est très présente.
Hojo explique pourquoi il entré chez les Yakuzas.
Tashiro, un Yakuza, explique pourquoi il
soutient les projets d'Hojo.

Monday, May 27, 2013

Lu : Éducation populaire : une utopie d'avenir (Franck Lepage, 2012)

Lu : Éducation populaire, une utopie d'avenir
Textes, entretiens et photos rassemblés par Franck Lepage.
Édition Cassandre/Horschamp, collection Les Liens qui Libèrent




Environ 180 pages de textes donnant les souvenirs, les considérations et les retours d'expérience de nombreux acteurs de l'éducation populaire.

Qu'est-ce que l'éducation populaire ? C'est l'idée d'éduquer le peuple par lui-même. Plutôt que de l'amener au théâtre, lui faire jouer le théâtre. Plutôt que de le confronter à l'œuvre aboutie, le mettre en situation, de l'autre côté du rideau. C'est l'idée de libérer, d'émanciper les gens par l'art, par la culture, vécue personnellement et non comme un idéal lointain.

On apprend beaucoup de choses dans ce livre dense. Par exemple, que l'idée n'est pas récente. Elle est évoquée depuis l'époque de la révolution et était très en vogue au début du XXème siècle, jusqu'à l'époque de la décolonisation.
On apprend que l'État français soutenait beaucoup ce genre d'initiatives, sous forme de foyers de jeunes, de théâtres populaires, et pas seulement dans les grandes villes. On apprend que le désengagement de l'État s'est fait pour des raisons essentiellement intra-ministérielles. Plus aucun ministère n'est vraiment en charge de l'éducation populaire. Il reste aujourd'hui :
  • l'Éducation Nationale, qui vise à faire acquérir un savoir canonique peu culturel (non-personnel et ne traitant pas des relations avec les autres),
  • la Culture, qui vise à faire connaître des citoyens les œuvres unilatéralement considérées par le ministère comme dignes d'intérêt,
  • la Jeunesse et les Sports, qui n'a plus de jeunesse que les sports, qui ont raflé budget et attention médiatique.
On rencontre différentes définitions de la culture. Ou plutôt, devrais-je dire, on rencontre plusieurs mises en perspective des phénomènes culturels qui permettent de mieux comprendre ce que l'on peut entendre par culture.
On apprend que des pièces de théâtre amateur peuvent avoir un grand succès local et un véritable impact sur la culture locale. On apprend que nombre des grands acteurs et artistes du XXème siècle ont commencé par le théâtre populaire.
On réalise à quel point la culture, centralisée et monopolisée par le Ministère de la Culture, qui seul définit ce qui est digne de subventions ou non, est à la merci du premier producteur à la chaîne venu. Si un acteur unique peut définir la culture pour le peuple, alors cet acteur peut être remplacé, corrompu, rendu obsolète par un autre.
On prend conscience que l'exhibition des œuvres est forcément une vision passéiste de la culture, tandis que l'incarnation personnelle d'un rôle (quel que soit le type de medium utilisé : théâtre, littérature, cinéma, photographie, conte...) crée l'avenir de la culture.

Quelques citations (sans en donner l'auteur, qui importe peu pour donner une vision d'ensemble) :


« à la fin des années quatre-vingt la multiplication de l'offre culturelle n'a plus d'autre sens que celui de soutenir artificiellement des professions artistiques dont la production n'atteint ni ne concerne la majorité de la population. »


« l'art [...] envisagé comme capacité de métaphoriser un rapport social »


« La culture, c'est l'ensemble des stratégies qu'un individu mobilise pour survivre dans la domination. »


« L'éducation populaire, [...] c'était aider les gens à s'exprimer. »


« Celui qui a désappris de mourir est libre. »


« [...] une démarche artistique exigeante. » [qui exige investissement du spectateur devenu acteur]


« Chacun pour soi, rien pour tous. » [en résumé de la centralisation du pouvoir et de l'individualisation du citoyen]


« Tout metteur en scène sait qu'on trouve des filons, des minerais, des pépites, en travaillant avec des gens à qui on donne le théâtre parce qu'ils en ont besoin pour rétablir une identité ou comme instrument de socialisation. »


« Il ne faut toucher à ce métier qu'avec des mains de feu. »


« Il faudrait redevenir grec pour qu'en leur sein [celui des amateurs] de grands poètes naissent. »


« Les responsables de Drac qui prétendent ne pas pouvoir s'intéresser aux amateurs parce qu'ils en sont coupés administrativement, ça devrait être leur boulot d'aller voir ça, d'aller à l'origine, en amont. »


« Il ne faut pas confondre la culture et le loisir. »


« il faut des instructeurs, des gens qui éveillent. Il faut que se crée l'exemple. »


« Se défaire d'un accent n'est pas quelque chose d'artificiel. »


« Avoir monté Hamlet et Dom Juan en cinq semaines ! Même une troupe professionnelle ne l'aurait pas fait. »


« [en participant comme acteur et non comme spectateur], chacun éprouvait sa distance au rôle, à l'emploi, à l'exploit collectif. [...] Les amateurs sentaient que c'était unique dans leur vie. »


« Il faut des espaces de recherche, de tranquillité, où on lance de véritables espoirs qui font transpirer, qui font peur. »


« les connaisseurs, devant la création [artistique], ça n'existe pas. »


« Chaplin le dit : « Nous ne vivons pas assez pour être autre chose que des amateurs. » »


« L'art de conter est en train de se perdre. Il est de plus en plus rare de rencontrer des gens qui sachent raconter une histoire. »


« La culture de chacun de nous, c'est la mystérieuse présence, dans sa vie, de ce qui devrait appartenir à la mort. [du passé perdu] »


« la question culturelle est une question politique à part entière. »


« Nous avons appris à rédiger nos dossiers de production dans la langue de l'ennemi. [l'unilatéral, le comptable, le top-down] »


« Le fond explose [dans tous les sens du terme] dans les quartiers quand la forme se répand au milieu de la cour d'honneur. »


« La conférence gesticulée, c'est une rencontre entre des savoirs chauds et des savoirs froids. Cela ne donne pas un savoir tiède, mais un orage ! »


« Il n'y a pas d'artistes ni d'experts sans les habitants qui les font naître. »


« notre culture est devant nous. »


« la culture est la plus haute forme de résistance à la violence et la seule condition pour instituer une vie politique. »


« La démocratie est l'essence de la culture, elle est son autre nom, son nom politique, car seule la culture fait advenir le peuple. »

Friday, April 26, 2013

Défense des langues régionales, oui mais pour quelle ambition ?

En contrepoint à l'article de l'Express "Onze idées reçues sur les langues régionales".



Sortons de l'illusion de sauvegarde du patrimoine, née de la fascination technique ! (dans le cas qui nous occupe, technique linguistique)

"Le basque est l'une des langues les plus anciennes d'Europe." Certes. Les sacrifices d'esclaves sont l'une des plus anciennes traditions d'Europe.

"Le breton est une langue celtique." Wow ! Le français est une langue romane, issue du latin.

"Le francique lorrain [...] l'idiome le plus proche de la langue que parlait Clovis." Chouette !!! Est-ce à dire qu'en travaillant bien notre francique à l'école, nous aussi nous pourrons devenir chefs de guerre ? Piller des églises puis se convertir au christianisme en grande pompe ? Faire l'histoire en traitant la tête d'un soldat de la même façon qu'un vase ?


Une langue n'est pas une richesse ! Je le répète car c'est un point crucial de ce que je vais dire ici : UNE LANGUE N'EST PAS UNE RICHESSE. C'est la *pratique* d'une langue qui est une richesse. Comme disait Claude Hagège, une langue morte est une langue que personne n'utilise pour dire "passe moi le sel". Une langue est avant tout un outil, au service de personnes qui, elles, créent de la richesse humaine et culturelle. Une langue sans locuteur est une langue morte, dont la seule valeur est le corpus de textes qu'elle laisse, qui seront traduits selon leur intérêt, car on manque plus de lecteurs que de traducteurs de langues mortes.




Alors, VRAI, le français est supérieur aux langues régionales.
Oh, je ne parle pas de qualités intrinsèques ! Déjà, je ne voudrais pas céder à la facilité de comparer le corpus d'une langue avec le corpus d'une autre. Pour mesurer les qualités intrinsèques, il faut mesurer les capacités d'apprentissage, la diversité de structures... qu'un homme peut utiliser ! C'est assez facile de regrouper le béarnais, le gallo et le limousin en un seul ensemble et de dire : regardez ce magnifique corpus !

La vérité est plus prosaïque : les locuteurs du français s'ouvrent sur le monde francophone, 300 millions de personnes. Des foyers culturels divers. Des cadres légaux moins restrictifs que ceux de la France, par leur plus grande diversité. L'avenir du français est assuré, celui de la France ne l'est pas...
Je ne parle pas de qualités intrinsèques d'une langue, je parle de potentiel de création de richesses, culturelles et humaines. En ces domaines, le français est supérieur aux langues régionales.



"Les langues régionales peuvent aussi présenter un intérêt économique." Alors là, stop ! Dire que l'alsacien permet de communiquer avec un allemand, c'est faux. Si on entre sur le terrain économique, les gens sont pressés. À défaut de leur langue, ils ne parleront pas une langue voisine, ils parleront anglais. Et que dire des nombreux étrangers arrivant à Barcelone, ville qu'on leur conseille de toute part, pour s'entendre refuser de parler en castillan, la langue que l'on apprend partout dans le monde ?



"Le breton nous rattache à notre passé gaulois."
  1. 3 des 4 dialectes bretons ne sont pas issus du gaulois mais de langues de l'archipel britannique.
  2. L'héritage gaulois est largement surestimé, suite à surenchère républicaine.
  3. Il y a certes une vision du monde dans une langue mais le breton de 2013 parlé en Bretagne française n'exprime, à mon avis, rien de la vision du monde de nos ancêtre gaulois... si tant est que cela soit souhaitable.


"Enseigner une langue régionale à l'école n'est pas un problème." Alors là, je dis attention ! Les linguistes disent certes que posséder une deuxième langue permet d'en apprendre d'autres mais ils disent aussi que la plupart des gens n'arrivent pas à dépasser trois langues. Quant aux passerelles entre des langues proches, elles représentent certes une aide pour la grammaire mais elles aussi sont aussi souvent sources de confusion pour le vocabulaire. Ainsi, les mots proches de langues faciles à aborder comme l'italien ou le roumain ne s'inscrivent pas forcément bien dans la mémoire. Par exemple, l'immersion totale à l'étranger fonctionne souvent mieux dans une langue entièrement différente.



Note concernant la politique linguistique de la Suisse : malgré le statut officiel du romanche, il est vraisemblable que celui-ci disparaisse en l'espace de quelques générations.



Concernant l'indépendantisme : Si les langues sont un attribut essentiel de l'identité, eh bien laissons-les s'exprimer ! inutile de les pousser ni des les réprimer. C'est la voie démocratique. Pourquoi vouloir les nourrir ? Je m'en voudrais de toucher à l'identité de quelqu'un, fût-ce pour lui suggérer de la renforcer.


En conclusion, je dirais que les langues régionales ne sont qu'un choix culturel parmi des dizaines d'autres possibles. L'histoire est ce qu'elle est, nous ne sommes pas en 1800 mais en 2013. Relancer aujourd'hui les langues régionales, ce n'est pas simplement valoriser un héritage culturel à coups de millions d'euros, c'est engager la culture des individus pour des générations. Pourquoi travailler à raviver le passé plutôt que de se tourner vers l'avenir ?
Si la langue régionale était parlée par des centaines de milliers de personnes en attente de reconnaissance, je dirais oui. Or, à l'exception du breton et du basque transfrontalier, elle n'est le plus souvent parlée que par quelques milliers de personnes âgées. La langue régionale de Marseille, c'est l'arabe, bien plus que le provençal. Pourquoi ne l'enseignerait-on pas dans les écoles de la République ?

Wednesday, April 24, 2013

Lu : La libido primitive, de Valy Christine Océany

Lu ce livre d'une auteure que je découvre et vers laquelle je reviendrai, Valy-Christine Océany : La libido primitive.

Une roumaine qui est installée en France depuis longtemps revient en Roumanie. Elle y redécouvre son histoire, comprend ce qu'elle ne comprenait pas dans sa jeunesse : ses relations avec son père, sa naïveté enfantine, la naissance de sa libido. À travers lettres, dialogues et souvenirs, elle revit son enfance.

Excellent bouquin, dans lequel j'ai beaucoup apprécié la mise en abîme de l'écriture du texte, la fraîcheur du style (mêlant styles direct, indirect et indirect libre dans des proportions très fluides et naturelles) et la vraisemblance des émotions. Je le recommande.

Comme à l'accoutumée, voilà quelques citations :

« Les grands, quand ils ne savaient pas quoi faire de leurs enfants, ils leur faisaient l’éducation. »

« Mes pensées ont l’allure d’une langue de bois, ces expressions toutes faites avec lesquelles on exprime tous la même chose, ou plutôt on n’exprime rien. [...] L’expression « langue de bois » est en elle-même langue de bois. »

« Alors, pour alimenter la curiosité de sa belle mère, elle glissait de temps en temps des papiers sans importance entre les feuilles de ses livres et ses cahiers, juste pour le plaisir de les voir disparaître. »

« Comment retrouver ce sentiment de bonheur ? Peut-être qu’elle n’avait pas le droit d’être heureuse. Puisqu’hier, elle l’avait été et, aujourd’hui, elle était punie de l’avoir été. »

Friday, April 5, 2013

Quelques notions sur la Roumanie [2/3] : Les minorités de Roumanie

Quelques notions sur la Roumanie, à l'attention des amis qui m'accompagnent dans mon prochain voyage (et de tout autre intéressé à lire cette page). Voir l'article 1 : Les Roumains.

Wikipédia possède un bon petit article sur le sujet et notamment une belle carte que je reprends ici (cliquez dessus pour l'agrandir).

Mais bon, c'est un peu court, et je préfère ma façon d'aborder les choses.

Les Rroms
Une première minorité, en Roumanie, ce sont les Rroms, qu'on appelle là-bas Tziganes. Ils peuvent être nomades ou installés en petits villages. Plus rarement, l'époque communiste leur a donné des quartiers entiers dans des grandes villes, qui ressemblent maintenant à des favelas intra-muros ou à des vieux quartiers en ruines. Généralement, les polices municipales ne sont pas tendres avec eux et ils ne fréquentent guère les centres-villes modernes.

Les Sicules
Les Sicules sont un peuple magyarophone (qui parle hongrois) mais ne se considère pas hongrois. Il y a plusieurs hypothèses vivement débattues sur leur arrivée dans la région, certaines aussi folkloriques que leur descendance directe des Huns d'Attila. On admet généralement qu'il s'agit de Hongrois qui auraient été déportés du Xème au XIIème siècle au creux des Carpates pour repousser d'éventuels envahisseurs.
Une bonne partie du folklore de la Transylvanie est lié aux Sicules. Ils ont eu un grand impact sur la culture locale : architecture, toponymie, nourriture, langue, traditions... Aujourd'hui encore, plusieurs villes portent des noms qui leur font directement référence : Târgu Secuiesc (le marché des Sicules), Odorheiu Secuiesc (la cour des Sicules), etc.

Les Hongrois
Il y a aussi de nombreux Hongrois non-Sicules en Roumanie. Certains sont arrivés dès le Moyen-Âge mais la plupart se sont installés quand la Transylvanie a été annexée à l'Empire Austro-Hongrois de 1867 à 1918. Dans toute la Transylvanie, il y a quasiment un continuum de présence des Hongrois et des Sicules. Certaines figures hongroises font partie intégrante de l'histoire de la Roumanie, tel Matthias Corvin, l'un des rois les plus marquants de l'histoire de Hongrie, né à Cluj en Transylvanie.

Les Juifs
Une large minorité de Juifs existait en Roumanie avant-guerre. Une grande partie a fui le pays, ou pris les nationalités russe, bulgare ou hongroise au gré des traités et des conquêtes des pays voisins. Néanmoins, dans ces nouveaux pays comme en Roumanie-même, plusieurs centaines de milliers de Juifs sont exterminés par des régimes collaborant avec le 3ème Reich.
Il reste aujourd'hui à peine quelques milliers de Juifs en Roumanie. Bucarest était cependant un centre culturel et tend aujourd'hui à se re-dynamiser grâce à quelques initiatives culturelles (lycée, théâtre, etc.)

Les Saxons
Les Saxons de Transylvanie se sont installés dès le XIIème siècle en Transylvanie. Ils avaient comme double but l'établissement de colonies marchandes et la défense face aux envahisseurs (Turcs, Tatars, Coumans...) et étaient encouragés et soutenus par les rois de Hongrie.
Le terme de « Saxons » est en partie abusif car ces colons ne venaient pas seulement de Saxe mais aussi d'autres endroits, comme le Luxembourg, la Lorraine ou d'autres régions de l'Allemagne actuelle.
Les Saxons se sont largement organisés autour de quelques grandes villes fortifiées, dont les sept plus connues sont en allemand : Bistritz, Hermannstadt, Klausenburg, Kronstadt, Mediasch, Mühlbach et Schässburg, soit en roumain : Bistriţa, Sibiu, Cluj, Braşov, Mediaş, Sebeş et Sighişoara. Aujourd'hui encore, la Transylvanie est appelée Siebenbürgen (les septs bourgs) en allemand.
Quoique la plupart des Saxons aient aujourd'hui quitté la Roumanie pour s'installer en Allemagne ou en Autriche, la Transylvanie est restée très marquée par la culture germanique, qui se lit sans difficulté dans l'architecture de ses villes et dans la présence d'églises protestantes. La culture germanophone est encore très dynamique en Roumanie.

Les Souabes
Les Souabes du Banat se sont installés au XVIIIème siècle pour peupler la plaine fertile du Banat (région de Timişoara) et protéger la région contre les éventuels envahisseurs ottomans arrivant par les Balkans. Il s'agit encore aujourd'hui d'une minorité active culturellement, bien qu'ils aient, eux aussi, largement émigré vers l'Allemagne et l'Autriche.

Les Ukrainiens (et les Russes)
Les Ukrainiens sont nombreux dans le nord du pays, près de l'Ukraine. Cette zone nord étant l'une des moins peuplées et des plus pauvres (Maramureş actuel), elle n'a pas attiré les attentions précises des grandes puissances au cours de l'histoire. Les Ukrainiens et les Roumains sont donc répartis assez uniformément au sud comme au nord de la frontière (quoique l'entrée de la Roumanie dans l'Union Européenne ait donné aux Roumains d'Ukraine une bonne raison de traverser la frontière). Dans une ville très culturelle comme Sighetu Marmaţiei (40 000 habitants), on trouve une forte minorité ukrainienne, une église ukrainienne, un centre culturel ukrainien.
Les Ukrainiens et les Russes sont aussi, bien évidemment, nombreux dans le « pays Moldavie » (république de Moldova). Dans certaines zones, ils sont quasi-majoritaires.

Les Bulgares et les Serbes
Les Bulgares étaient historiquement installés sur le bord de la Mer Noire. La Dobrogée, cette région côtière de Roumanie, contient beaucoup de Bulgares historiques, de même que le rivage du Danube, des deux côtés de la frontière.
Les « Serbes » se sont installés de façon plus anarchique dans les Balkans et la plaine du Banat ne constituait pas une frontière naturelle nette, telle que pouvait l'être le Danube. Aujourd'hui encore, il y a de nombreux Serbes dans la plaine du Banat et une minorité active dans la ville de Timişoara.
Attention : pour différentes raisons culturelles, politiques et surtout linguistiques, les Roumains ont tendance à qualifier tous les Slaves au sud du Danube de « Serbes ». Cette appellation ne correspond donc pas au pays actuel qu'est la Serbie.
Le mélange historique assez pacifique des Bulgares, Serbes et des Roumains a laissé des traces profondes dans la culture roumaine. La plupart des mots slaves de la langue roumaine sont venus par ces peuples. De plus, les anciens textes en roumain utilisaient l'alphabet cyrillique. On trouve encore cet alphabet sur les inscriptions de certaines vieilles églises.

Les Turcs, les Tatars et les Grecs
Les aléas de l'histoire ont aussi laissé des minorités culturelles turques, tatares et grecques sur le bord de la Mer Noire. Soldats turcs en garnison, ports marchands grecs, Tatars déportés en Crimée par les soviétiques.

Les Aroumains
Les Aroumains sont des minorités historiques roumanophones (ou parlant des dialectes largement inter-compréhensibles) qui ont quitté la région originelle de la Roumanie actuelle au premier millénaire. Ils sont principalement présents dans les pays de l'ancienne Yougoslavie et en Grèce.

Les expats
Il reste de nombreuses minorités dont je n'ai pas parlé mais l'une d'entre elle est très récente et très importante : les expatriés. La ville de Cluj, en Transylvanie, est très appréciée par les étudiants et renommée pour ses soirées Erasmus.
Bucarest est une ville très appréciée par les cadres internationaux. Elle contient même un quartier français spécialement dédié aux expats, près du magnifique parc Herăstrău. Pour des raisons culturelles et linguistiques, les Français, les Italiens et les latins en général bénéficient d'un avantage notable pour s'intégrer en Roumanie.

Tolkien et le racisme

J'ai lu et entendu plusieurs fois des hypothèses, quelquefois élaborées, étayées, en véritables thèses, sur le racisme de Tolkien. Je n'y a jamais ajouté foi.

T
olkien a écrit de nombreuses œuvres, que j'ai lues et relues plusieurs fois, pour la plupart. La notion de race y est omniprésente : elfes, nains, humains, hobbits. On y qualifie les hobbits de semi-hommes. On y montre des « Orientaux », ressemblant à ce qu'un Européen pouvait penser d'un Oriental au début du XXème siècle, alliés à l'ennemi, au mal, et marchant au pas. On peut légitimement se poser la question : Tolkien établit-il une hiérarchie des races ?

Tolkien montre surtout, selon moi, la veulerie des hommes.

Souvenez-vous Prosper Poiredebeurré : en début d'histoire, il méprise et moque les Rôdeurs, ces vagabonds venus d'on-ne-sait-où. En fin d'histoire, il est Gros-Jean comme devant : depuis le départ des Rôdeurs, les bandits attaquent de partout.
Il montre des « Orientaux » qui marchent au pas, certes, mais ne montre-t-il pas plutôt la bêtise des marcheurs au pas, opposée à la liberté d'action et la dignité accordée à tous ceux qui accompagnent Aragorn ?
Il montre certes de beaux hommes dignes, dans un monde idéal, Númenor, mais il montre que les Númenoriens eux aussi sont sensibles à toutes les tentations et y succombent. Númenor finit noyée sous les eaux.

Ce qui discrédite pour moi définitivement la thèse du racisme, c'est cette phrase de l'Ainulindalë décrivant les premiers peuples créés par la volonté divine : « Le sentiment de leur ressemblance mit longtemps à venir. » Car c'est bien là ce qui caractérise une personne luttant contre les xénophobies et le racisme : la pensée omniprésente que l'on peut et doit chercher les ressemblances plutôt que les différences. L'idée que les différences sautent aux yeux tandis que les ressemblances sont plus profondes. Cette phrase-là ne peut pas venir d'un auteur qui accepte une hiérarchie des races.

Voilà pourquoi, quand Tolkien dit dans l'un de ses discours, "I have the hatred of apartheid in my bones", je n'ai pas le moindre doute sur sa sincérité.

Thursday, March 28, 2013

Quelques notions sur la Roumanie [1/3] : Les Roumains

Quelques notions sur la Roumanie, à l'attention des amis qui m'accompagnent dans mon prochain voyage (et de tout autre intéressé à lire cette page).

Les Roumains se considèrent essentiellement comme les descendants des Romains qui ont battu les Daces de Décébale en 102 après JC et ont installé dans les Carpates, sur le bord de la Mer Noire et le long du Danube, tout comme en Gaule, des colonies, des villas, des routes et des voies commerciales, etc. La langue roumaine confirme en partie cet héritage : elle est la langue actuelle la plus proche du latin de l'époque.

La Roumanie se compose, grosso modo, de trois grandes parties historiques : la Valachie au sud des Carpates et jusqu'à la Mer Noire, la Moldavie à l'est des Carpates et la Transylvanie de l'autre côté (à l'ouest et au nord) des Carpates.

Carte de Roumanie montrant la Transylvanie, la Valachie et la Moldavie historiques
Carte grossière montrant les régions roumaines historiques : Transylvanie en rose, Valachie en bleu et Moldavie en jaune.

En résumant, très grosso modo, l'histoire de la Valachie a été de s'affirmer face aux Turcs, l'histoire de la Moldavie a été de s'affirmer face aux Russes et l'histoire de la Transylvanie a été de s'affirmer face aux Germains et à leurs alliés Hongrois. Je dis que je résume grossièrement car les alliances ont été nombreuses avec ou contre ces voisins.
Cette affirmation nationale s'est pleinement réalisée sous la forme de l'union de tous ces territoires en un seul état, de 1918 à 1940, période connue sous le nom de « Grande Roumanie ».
Le « pays Moldavie », ou république de Moldova, est un reste de l'éclatement de l'URSS en 1991. On y parle roumain essentiellement, quoique les minorités russes et ukrainiennes soient importantes. Aujourd'hui encore, la plupart des Roumains espèrent la ré-inclusion du « pays Moldavie » dans la Roumanie.

Les Roumains, si on les définit comme personnes de culture roumaine, sont aussi installés dans les pays voisins, suite aux aléas de l'histoire : Ukraine au nord, Hongrie et Serbie à l'ouest, Bulgarie au sud et un peu partout dans les Balkans.

Les Roumains ont aussi une large diaspora, à commencer par les pays Européens de culture latine : Italie, Espagne, France et, dans une moindre mesure, d'autres pays économiquement ou historiquement accueillants tels que les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Irlande et le Canada (surtout la partie francophone).

Tuesday, March 26, 2013

Mots anglais à prononciation bizarre en français

Amusant de constater à quel point les mots peuvent s'échanger entre les langues et s'acclimater, soit à l'écrit, soit à l'oral ;-)
Ci-dessous une petite sélection de mots anglais qui se prononcent complètement différemment en France...

MotPrononciation anglaise approx.Prononciation courante en français
pull-overpoule-oveurpulovère
clownclahounecloune
southdown
race de brebis
sahoufe dahounesoudoune
silent-block
pièce mécanique servant à fixer le moteur
sailleleune te bloquecylin bloque
WCwater-closetvécé
uppercuteupeurqueuteupèrecute
shampooing
en anglais → shampoo, tout simplement
chamepou (ine gue)champoin
AJOUT 21/05/2013 : sweatsouhaitesouite

Sunday, March 24, 2013

Citation de Norman Manea

Norman Manea, interrogé par France Inter, ce dimanche 24 mars au Salon du Livre : « On n'est pas le résultat seulement d'une biographie mais aussi d'une bibliographie. »

Thursday, March 21, 2013

Il faut toujours relire ses classiques

Il faut toujours relire ses classiques. Pour bâtir une culture personnelle, il faut non seulement lire et découvrir des œuvres artistiques et intellectuelles mais encore les comparer entre elles, les juger les unes à l'aune des autres et bâtir son propre cheminement artistique et intellectuel.

Pour ce faire, rien de tel que de revisiter les œuvres que l'on considère comme des classiques, qu'elles soient habituellement affublées de ce qualificatif ou non. C'est l'occasion de suivre à nouveau le cheminement de pensée que l'on avait lors de leur première découverte et de l'enrichir ou de le revoir.

Dans ma bibliothèque trônent beaucoup de livres que je n'ai pas encore lus mais aussi quelques-uns que j'aime relire de cette façon. Une petite liste ci-dessous de certains de mes « classique » : ces livres que je conseillerais à tout lecteur, sans une seule hésitation. (Sans ordre particulier, je m'en voudrais de les classer, et sans prétendre à une quelconque exhaustivité.)



J.R.R. Tolkien
Le Seigneur des Anneaux comme entrée, Le Silmarillon comme plat principal, Les Monstres et les Critiques comme dessert.
Pour les amateurs de repas longs : Bilbo le Hobbit comme apéritif, Les aventures de Tom Bombadil comme digestif.

Pierre Loti
Pêcheur d'Islande, pour sa poésie en prose, cet art d'orfèvre d'exprimer la fatalité de la vie et de la mort sans l'expliciter. Cette fatalité est évidente pour tous les personnages, qui ne peuvent donc aborder le sujet (ce serait invraisemblable) mais n'est pas évidente de but en blanc pour le lecteur. Il s'agit donc d'un sujet de choix : le poète relève le défi d'illustrer la fatalité sans ambigüité mais sans artifice grossier.

Boris Vian
L'écume des jours, pour l'onirisme. J'irai cracher sur vos tombes, pour le mélange de la beauté et de l'horreur humaines. L'arrache-cœur, pour le surréalisme.

François Rabelais
Gargantua, pour les moutons et pour les coquecigrues.

Arthur Koestler
Le Zéro et l'Infini, pour les lectures multiples que l'on peut en faire.

Aldous Huxley & George Orwell & Ray Bradbury
Le meilleur des mondes & 1984Fahrenheit 451 : pour mesurer à quel point notre monde (qui est tel qu'il est) pourrait très bien être autrement.

Jean-Louis Maunoury
Absurdités et paradoxes de Nasr Eddin Hodja. Dans toute bibliothèque qui se respecte, il faut un recueil d'anecdotes de Nasreddin. Tant qu'à en choisir un, celui-ci est un bon.

Snorri Sturluson
L'Edda. (La jeune Edda.) Quoique d'abord complexe, je trouve cet ouvrage très utile pour comprendre les croyances d'un autre temps et, en conséquence, relativiser celles de notre temps et reconsidérer nos absolus et nos tabous.

Victor Hugo
Quatrevingt-treize, ou comment insuffler par le roman des idéaux républicains et humanistes, ou comment exalter et encourager à l'action sans dieu ni drapeau.

Umberto Eco
Le Nom de la Rose et l'Apostille au Nom de la Rose.

Jean Mazaleyrat
Éléments de métrique française. Ouvrage simple à aborder qui permet au profane de prendre la mesure de la profondeur du travail que peut réaliser le poète sur les mots.

André Gide
Les Faux-monnayeurs, pour montrer que l'on peut cacher tout un discours dans un livre. André Gide, le stéganographiste littéraire.

Bram Stoker
Dracula, en VO s'il vous plaît, pour le style littéraire impeccable.

Paulo Coelho
L'alchimiste, pour mesurer à quel point il est aisé de prendre des sornettes pour de sages vérités, si elles sont racontées subtilement !

Vatsyayana
Le Kama Sutra, pour montrer (à ceux qui, naïvement, en doutent) que l'on peut avec profit se pencher sur l'étude détaillée des relations amoureuses et de la sexualité et pour relativiser les contraintes sociales autour du sexe : comme bien d'autres normes, les conventions sexuelles sont liées à un époque, à un lieu et à une classe sociale. L'homme libre prend de la distance et peut les étudier sereinement, ce que fait Vatsyayana.

Sun Tzu
L'art de la guerre. Un simple pacifisme ne peut suffire. Que l'on cherche à gagner la guerre ou à l'éviter, il s'agit d'un sujet d'étude sérieux (qui ne peut être laissé aux militaires, comme dirait l'autre), ce que Sun Tzu fait dans cet ouvrage.

Wednesday, March 20, 2013

Relu : Apostille au Nom de la Rose


Je l'avais lu en classe de Première. Je me souviens de cet échange, avec mon meilleur ami, à l'époque : «
— Tu l'as lu, l'apostille ?
— Ouais.
— Et alors ?
— Ça donne envie d'écrire.
— Pareil ! »

Je pense depuis quelques années à écrire un texte de remerciement à mes meilleurs professeurs. Ce serait assez injuste, envers tous ceux que je ne pourrais pas citer ;-)
En tous cas, il y aurait une ligne « Jean-Claude P., professeur de 1ère S au Lycée St-Jean, mes remerciements pour m'avoir fait lire l'Apostille au Nom de la Rose et découvrir Umberto Eco. »

Toujours est-il qu'en 1983, Umberto Eco accepte de nous livrer dans ce petit livre (90 pages) quelques secrets de fabrication de son roman à succès de 1980, ainsi qu'un regard critique sur son travail d'auteur : d'autres sites vous expliqueront mieux le contenu. Pour aujourd'hui, j'ai choisi d'en tirer quelques citations.

Un titre doit embrouiller les idées, non les embrigader.

L'auteur devrait mourir après avoir écrit. Pour ne pas gêner le cheminement du texte.

Je définirais l'effet poétique comme la capacité, exhibée par un texte, de générer des lectures toujours différentes, sans que jamais on en épuise les possibilités.

Les livres parlent toujours d'autres livres, et chaque histoire raconte une histoire déjà racontée.

Il faut se créer des contraintes pour pouvoir inventer en toute liberté.

La vérité est que les personnages sont contraints d'agir selon les lois du monde où ils vivent et que le narrateur est prisonnier de ses prémisses.

[à propos de son narrateur] Faire tout comprendre par les mots de quelqu'un qui ne comprend rien.

L'art, c'est la fuite hors de l'émotion personnelle, Joyce comme Eliot me l'avaient enseigné.

Et Dieu qu'ils sont insupportables ces poèmes dits par des acteurs qui, pour « interpréter », ne respectent pas la mesure du vers, font des enjambements récitatifs comme s'ils parlaient en prose, suivant le contenu et non le rythme.

[...] écrire cent pages dans le but de construire un lecteur adéquat pour celles qui suivront.

[riant de son lecteur] Alors, tu devras être mien, tu éprouveras le frisson de l'infinie toute-puissance divine qui rend vain l'ordre du monde.

[à propos du roman expérimental] l'inacceptabilité du message n'était plus le critère roi pour une narrativité (pour tout art) expérimentale, car l'inacceptable était désormais codifié aimable.

Mon Dieu, mais à qui s'identifie un auteur ? Aux adverbes, bien sûr.

Wednesday, March 6, 2013

Revoir Chaplin en ligne

Les œuvres de Chaplin sont désormais dans le domaine public. Il est donc légal de les visionner directement sur l'Internet. La filmographie de Chaplin comporte 82 films, plus un certains nombres où il a collaboré en tant qu'acteur ou co-réalisateur. Les plus connus sont cependant ceux qu'il a produit avec United Artists. Les voilà ci-dessous, cliquez sur les liens pour voir ou télécharger les films :

De R&A et du racisme

On a trop peu souvent l'occasion de lire des opinions contraires, de se voir opposer de franches contradictions de ses idées.

Lors de mon dernier voyage en train, j'ai fait le plein de magazines à parcourir. Je suis tombé sur un magazine que je ne connaissais pas : Réfléchir & Agir. La couverture était alléchante : « Revue autonome de désintoxication idéologique ».
Alors je l'ai lu, en détail. Pas beaucoup d'articles de qualité. On y trouve surtout des insultes envers les socialistes et les homosexuels. Et une négation de tout droit aux immigrés. C'est surtout décevant quoique écrit dans un français impeccable. Le plus triste étant les tentatives de récupération du passé. Exemple : Orson Welles, analysé par cette revue, devient vite un sympathisant.

Le tout pourrait être étayé par des analyses un peu poussées, ou faire appel à des raisonnements économiques. Point : la thèse principale, en tâche (ou en tache) de fond, est la défense de la « race blanche ». Encore, en 2013. Le mépris des métissages et l'affirmation de la supériorité. Sans argumentaire.

Combien y a-t-il de gens pour croire encore à ces nigauderies ? Le raciste est limite paranoïaque, il s'imagine seul lâché dans un monde en guerre. Alors suivons-le dans son délire : imaginez-vous vous-même lâché seul au beau milieu d'un champ de bataille. Qui sont les belligérants, quelles sont les motivations de la bataille, les armes, les chefs... vous n'en savez rien. Comme chaque homme qui vient au monde, celui qui est lâché seul au beau milieu d'un champ de bataille doit se figurer par lui-même comment vivre, survivre ou mourir, quels sont les enjeux, comment donner un sens à sa vie.
Imaginez-vous bien un vrai champ de vraie bataille : massacres, cris, armes brandies, sang répandu, armures défoncées, gadoue qui se colle partout, prise de prisonniers ou exécutions sommaires, trompettes...

Plusieurs réactions sont possibles.
L'homme seul peut chercher comment s'enfuir.
L'homme seul peut tenter de passer inaperçu.
L'homme seul peut chercher à comprendre quels sont les camps en présence : la couleur des uniformes ? les oriflammes ? les cris de guerre et les trompettes ? les mouvements de troupes ?
Une fois les camps identifiés, l'homme seul peut chercher quel camp rejoindre : Qui sont les plus forts ? Qui semble dominer le champ de bataille ? Qui font les meilleurs discours ? Qui sont les plus près de moi pour les rejoindre ? Lesquels m'accepteront ? Qui sont les plus miséricordieux avec les blessés et les hommes désarmés ? Y en a-t-il qui sont respectueux envers l'environnement, au sein-même de leurs pratiques meurtrières ?
L'homme seul peut aussi attendre la mort.
L'homme seul peut aussi se planter au beau milieu et improviser un discours pacifiste...

Le raciste, lui, est celui qui se dit : « Il y a des hommes au visage propre et des hommes au visage couvert de gadoue, voilà les camps. Mon visage est encore propre, je vais rejoindre le camp de visages propres. » Le raciste se trompe orthogonalement dans l'identification des camps en présence, il choisit la première différence qu'il voit comme critère déterminant. Il rejoint un « camp » qu'il croit uni, il s'y fera massacrer par son « camp » ou par un autre.
Le raciste est l'idiot de l'humanité. Comme un mouton, il suit qui lui ressemble visuellement. Il est le premier à mourir sur un champ de bataille auquel il ne comprend rien, exploité par des gens qui le méprisent. Le raciste est le débile de l'humanité, j'ai pitié de lui.

Sunday, March 3, 2013

Lu : A l'ouest d'octobre, de Ray Bradbury

Repost de mon mur Facebook du 4 jan 2012

Quelques histoires bien écrites, drôles ou prenantes, souvent à la lisière du fantastique et de la science-fiction. Très agréable à lire.

Ça me réconcilie avec l'auteur, en tous cas, parce que les Chroniques Martiennes m'avaient gonflé !