Sunday, February 3, 2013

Lu : La confession d'un fou, de Leïla Sebbar

Il y a du chef d'œuvre dans ce petit roman de Leïla Sebbar. On pense en le lisant à d'autres chefs d'œuvres, d'autres auteurs à d'autres époques, mais rien qui corresponde vraiment.


La froideur du récit, sa façon de mêler des discours sentimentaux et des actions dénuées de sentiments, racontées sans fioriture, me font penser aux sagas islandaises. Si, si ! Souvenez-vous ce passage où Hrafnkell, prêtre de Freyr, annonce à son serviteur que, pour observer sa promesse au dieu Freyr, il doit le tuer et le tue. Pas de discussion, pas de complainte, pas de seconde chance, pas de répit pour faire ses dernières prières. C'est à faire et c'est fait. Il y a de ça, dans cette Confession d'un fou.

La façon du narrateur de passer du coq à l'âne sans transition, de mêler du descriptif et de l'actif sans transition, de mêler du dérisoire et du grandiose sans transition, font également penser aux propos d'un fou. Il n'a pas de repères ou, du moins, pas les mêmes que les autres. Alors il peut citer tout et n'importe quoi dans une cohérence qui lui est propre.

L'auteure donne deux clés de lecture par les références de son personnage. L'une est La mort de Sardanapale, l'autre est le biblique sacrifice avorté d’Ismaël par Abraham. Toutes deux interrogent le sacrifice. Si Dieu sacrifie, si le roi sacrifie, si le père sacrifie, est-ce donc par le sacrifice que l'on s'élève en dignité ? Le personnage, qui n'est ni père, ni roi, ni dieu, doit-il suivre cet exemple pour relever sa propre estime de lui ?

Une autre clé de lecture est peut-être le titre. Mais là encore, le titre interroge. Peut-être, à l'image d'Umberto Eco, considère-t-elle que le titre est là pour confondre le lecteur ? Si, au lieu de l'interprétation naïve qui consiste à penser que l'intérêt de l'ouvrage se situe dans la confession du personnage principal et narrateur, qualifié de "fou", on se laissait aller à penser que c'est l'auteur, qui est fou ? L'auteure pourrait bien être folle, si on unifie le triptyque auteur-narrateur-personnage.
Ou mieux encore, si le personnage, à travers son hybris, n'était qu'un prétexte à une critique de Dieu ? Voilà une hypothèse pertinente. Le personnage tue, aveuglément et sans pitié. Il se compare dans cette action à Dieu, qui sacrifie Ismael par la main d'Abraham. Tout au long du récit, il commet tour à tour chacun des péchés capitaux et, en même temps, méprise dans ses commentaires ceux qui les commettent. Par ailleurs, il s'imagine avoir découvert l'ineffable centième nom de Dieu. Il y a bien une critique de Dieu dans les actions de ce personnage.
Ou une recherche de Dieu ? Peut-être le personnage recherche-t-il un père de substitution, après l'exécution du sien par les soldats ? Peut-être recherche-t-il une image de la justice, de la stabilité, du réconfort...

L'hypothèse du "justicier", retenue sur le quatrième de couverture, ne m'a pas sauté aux yeux. C'est plutôt quelqu'un en quête de sens. Le sens de la justice ? Non. Plus simplement, le sens d'une logique cohérente à l'ensemble des évènements qu'il vit ou auxquels il participe activement.

Il va falloir que je le relise. Et j'encourage tous ceux qui ont quelque chose dans le ventre et qui n'ont pas peur de le voir remuer un peu à lire aussi La confession d'un fou.

No comments:

Post a Comment

Please feel free to comment in any language.